Lorsqu'un assujetti reçoit une facture rectificative mentionnant une TVA déductible qui ne figurait pas dans la facture initiale du fournisseur (parce que l’opération avait été considérée comme non taxable ou taxée à un taux inférieur au taux légalement applicable), le délai de péremption du droit à déduction correspondant à cette taxe court-il seulement à compter de la date de la facture rectificative ou dès que la TVA était devenue exigible chez le fournisseur ?
Dans deux arrêts du 21 mars 2018 (aff. 533/16, Volkswagen AG) et du 12 avril 2018 (aff. 8/17, Biosafe - Indústria de Reciclagens), la Cour de justice de l’Union européenne se prononce, sous certaines conditions, en faveur de la première hypothèse.
Le délai de forclusion court à compter de la réception de la facture rectificative…
La Cour de justice rappelle qu’il résulte des dispositions des articles 167 et 179, al. 1 de la directive TVA que le droit à déduction s’exerce, en principe, au moment où la taxe devient exigible. Un assujetti peut néanmoins être autorisé en vertu des articles 180 à 182 de la directive à procéder à la déduction de la taxe postérieurement à l'exigibilité, dans le respect des conditions fixées par la réglementation nationale.
La possibilité d’exercer le droit à déduction sans limitation dans le temps étant toutefois contraire au principe de sécurité juridique, la Cour rappelle également que les Etats membres peuvent prévoir un délai de forclusion au-delà duquel les assujettis ne peuvent plus faire valoir leur droit à déduction de la TVA, sous réserve que ce délai respecte les principes d’équivalence et d’effectivité (en ce sens notamment, CJUE 28-7-2016 aff. 332/15, Giuseppe Astone).
La Cour rappelle enfin que les Etats membres peuvent, en vertu de l’article 273 de la directive, mettre en place des mesures pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve qu’elles ne soient pas utilisées de manière telle qu’elles remettraient systématiquement en cause le droit à déduction.
La Cour juge toutefois qu’un délai de forclusion ne peut conduire à priver un assujetti du droit à déduction ou à remboursement de la TVA lorsque ce dernier, qui ne disposait pas auparavant des factures rectificatives et ignorait que la taxe était due au titre des opérations en cause, a été dans l’impossibilité d’exercer son droit à déduction ou à remboursement avant la régularisation de la TVA effectuée par son fournisseur (spontanément ou à la suite d'un redressement fiscal).
Elle considère que, dans une telle hypothèse (celle d’une opération initialement non taxée ou taxée à un taux inférieur au taux légalement applicable), c’est seulement après la régularisation que les conditions matérielles et formelles ouvrant droit à déduction de la TVA sont réunies et que l’assujetti peut solliciter la déduction ou le remboursement de la taxe en cause. Le délai de forclusion court donc, dans ce cas, à compter de la réception de la facture rectificative émise par le fournisseur.
… sauf si l’assujetti ne pouvait ignorer que la TVA était due au titre de l’opération
La Cour considère cependant qu’un délai de forclusion courant à compter de la date d’exigibilité de la taxe peut être opposé à un assujetti lorsque, contrairement aux circonstances de fait en cause dans les deux affaires ici commentées, celui-ci ne pouvait pas objectivement ignorer que la TVA était due au titre de l’opération ou qu’un taux de taxe supérieur était légalement applicable. Tel serait le cas, selon la Cour, lorsque l’assujetti a fait preuve d’un manque de diligence ou dans l’hypothèse d’une situation abusive ou d’une collusion frauduleuse entre le fournisseur et son client, ce qu’il appartient aux autorités nationales d’apprécier.
La réglementation française sur la déduction en cas de rehaussement confirmée
En France, la doctrine administrative prévoit que le redevable qui fait l’objet d’un rappel peut délivrer à son client une facture rectificative portant régularisation de la TVA. Ce dernier est alors autorisé à opérer la déduction du complément de taxe jusqu’au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de la facturation rectificative (BOI-TVA-DED-40-20 n° 80).
L’arrêt Biosafe du 12 avril 2018 ici commenté confirme expressément cette solution.
On notera toutefois que, contrairement à la Cour de justice, l’administration fiscale, dans sa doctrine susvisée, ne subordonne pas la déduction de la taxe à la bonne foi de l’assujetti déducteur.
Guy NEULAT
Pour en savoir plus sur les principes de déduction de la TVA : voir Mémento TVA nos 50500 s.