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Une demande de désignation d’un mandataire ad hoc contraire à l’intérêt social ?

En cas de demande de désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale, le juge ne doit pas apprécier la conformité de cette demande à l’intérêt de la société au regard de la décision que l’associé demandeur entend soumettre à l’assemblée.

Cass. 3e civ. 19-9-2024 n° 23-12.846 F-D


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©Getty Images

Un associé non gérant de société civile peut à tout moment demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée ; si le gérant s'oppose à la demande ou garde le silence, l'associé peut, à l'expiration du délai d'un mois à compter de cette demande, solliciter du président du tribunal judiciaire la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés (Décret 78-704 du 3-7-1978 art. 39, al. 1 et 3). 

Il a été jugé que, saisi par un associé d'une demande de désignation d'un mandataire chargé de convoquer une assemblée ayant pour ordre du jour la révocation du gérant, le juge n'a pas à apprécier les motifs de cette révocation mais seulement la conformité de la demande à l'intérêt social (Cass. com. 15-12-2021 n° 20-12.307 FS-B : RJDA 2/22 n° 94, à propos d'une SARL). 

La Cour de cassation vient de faire application de ces règles dans le cadre suivant.

Les statuts d’une société civile immobilière d’attribution, dont les parts donnent droit à la jouissance privative de lots correspondant à des parties du terrain de la société, prévoient que, en cas de demande de retrait d’un associé, le gérant doit réunir sous quinzaine une assemblée générale appelée à constater l'attribution en pleine propriété du lot à l’associé retrayant et la réduction du capital social consécutive à l’annulation de ses parts.

A la suite d’une demande de retrait à laquelle le gérant n’a pas donné suite, un associé se fondant sur les dispositions précitées agit en désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée afin que celle-ci constate l'attribution de son lot et la réduction de capital concomitante en se fondant sur les dispositions précitées.

Une cour d’appel rejette l’action de l’associé en retenant que, quel que soit par ailleurs son bien-fondé, cette demande de convocation de l’assemblée ne correspond, s'agissant du retrait personnel de l’associé, qu’à l’intérêt particulier de celui-ci et non à des fins légitimes conformes à l'intérêt social.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel : en appréciant l'absence de conformité à l'intérêt social de la demande de désignation du mandataire ad hoc au regard de la décision que l’associé entendait soumettre à l’assemblée, la cour avait violé l’article 39 précité.

A noter :

Quel que soit le fondement de la demande de désignation du mandataire ad hoc (Décret du 3-7-1978 art. 39 pour les sociétés civiles ; C. com. art. L 223-27, al. 7 pour les SARL et art. L 225-103, II-2° pour les sociétés anonymes ; CPC art. 835 ou 872 pour toute société en présence d’un trouble manifestement illicite ou en cas d’urgence), cette désignation est soumise à un régime unique. Elle n'est pas subordonnée à la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d’un péril imminent (jurisprudence constante ; notamment, Cass. com. 21-9-2022 n° 20-21.416 F-B : BRDA 20/22 inf. 3). La demande de désignation doit seulement être conforme à l'intérêt social (notamment, Cass. com. 8-11-2023 n° 22-22.713 F-D : RJDA 3/24 n° 161).

Le mérite de l’arrêt rapporté est d’apporter quelques précisions sur la façon d’apprécier la conformité à cet intérêt

On sait qu'il convient de ne pas confondre celui-ci avec l'opportunité de la décision à prendre par l'assemblée générale que le mandataire ad hoc est chargé de convoquer. Ainsi, en cas de demande de désignation d’un mandataire chargé de réunir une assemblée appelée à révoquer le gérant, le juge n’a pas à apprécier les motifs de cette révocation pour déterminer s’il convient de faire droit à la demande (Cass. com. 15-12-2021 n° 20-12.307 précité).

En l’espèce, le juge ne pouvait donc pas écarter la demande au seul motif que la décision à prendre par l’assemblée tendait à satisfaire à la demande (certes égoïste) de retrait de l’associé. 

En revanche, il appartenait au juge de déterminer si la désignation n’était pas justifiée par un manquement du gérant à ses obligations statutaires, l’existence d’un tel manquement étant en effet de nature à compromettre l’intérêt social (Cass. com. 22-9-2021 n° 19-24.968 F-D : BRDA 20/21 inf. 4).

Tel semblait être le cas ici : en présence d’une demande de retrait, les statuts obligeaient le gérant à réunir l’assemblée pour qu’elle se prononce sur l’attribution du lot et la réduction de capital ; ils ne lui donnaient pas la liberté de refuser cette réunion et de paralyser ainsi l’exercice du droit de retrait, qui n’était pas laissé à son appréciation. Il nous paraît donc conforme à l’intérêt de la société qu’un mandataire soit désigné pour pallier l’inaction du gérant en la matière.

Documents et liens associés :

Cass. 3e civ. 19-9-2024 n° 23-12.846 F-D

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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