Un agriculteur décède le 10 janvier 2012. Le conjoint d’une de ses filles assigne le 10 décembre 2013 les héritiers en paiement d’une créance de salaire différé pour une période allant de 1976 à 1986. À titre subsidiaire, il fait valoir une créance au titre de l’enrichissement sans cause. Il est débouté et la Cour de cassation confirme.
D’une part, le conjoint du descendant ne peut prétendre à une créance de salaire différé que s'il a travaillé, concomitamment avec celui-ci, sur l’exploitation de ses beaux-parents (C. rur. art. L 321-15). Or, le requérant sollicite ici une telle créance pour une période distincte de celle pour laquelle son épouse en bénéficiait.
D’autre part, l’action fondée sur l’enrichissement sans cause est prescrite. Celle-ci n’a pas pour objet de faire reconnaître une créance de salaire différé mais constitue une action mobilière soumise à la prescription de droit commun. Le demandeur a connu, chaque mois durant la période travaillée sans être payé, les faits lui permettant d’exercer son action. En conséquence, le délai pour agir a expiré.
À noter : S’agissant du salaire différé, la Cour de cassation rappelle une règle qui ne souffre pas d’ambiguïté. Cela dit, dès lors que le descendant de l’agriculteur travaille aussi dans l’exploitation sur la même période, son conjoint bénéficie d’un droit propre pour la durée de sa collaboration dans la limite de 10 ans. Il peut donc prétendre à un salaire différé même si le descendant, pour cette même période, ne le pourrait pas parce qu’il aurait dépassé le plafonnement de 10 ans (Cass. 1e civ. 3-5-2000 n° 98-10.966 F-D).
Quant à l’action en enrichissement sans cause ou, depuis la réforme des contrats enrichissement injustifié (C. civ. art. 1303 s.), elle est ouverte au conjoint du descendant qui ne peut pas prétendre à un salaire différé (Cass. 1e civ. 14-3-1995 n° 93-13.410 P : D. 1996, 137, note V. Barabé-Bouchard ; RTD civ. 1996, p. 215, obs. J. Patarin).
Mais attention, nous dit l’arrêt, cette action n’est pas subsidiaire à une demande de salaire différé. Il s’agit d’une action mobilière autonome. Autrement dit, la prescription quinquennale n’est pas suspendue jusqu’au décès de l’exploitant. Elle court, conformément au droit commun, « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » (C. civ. art. 2224). Elle court donc au terme de chaque mois travaillé et non payé. Là encore, la solution est juridiquement incontestable. Mais elle pourra se révéler délicate à mettre en œuvre lorsqu’elle obligera le gendre (ou la bru) à agir du vivant de ses beaux-parents pour éviter la prescription. En effet, ces liens familiaux ne figurent pas au nombre des impossibilités d’agir qui justifient la suspension de la prescription.
Dominique CHAMINADE
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Successions Libéralités n° 24405