Cass. soc. 12-6-2024 n° 23-13.975 FS-B, T. c/ Sté Eservglobal
L'employeur, tenu à une obligation de sécurité, doit prévenir le harcèlement moral et prendre les dispositions nécessaires en ce sens. Sa responsabilité ne peut être écartée que s'il a mis en œuvre toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, notamment des actions d'information et de formation, et a mis fin au harcèlement dès qu'il en a été avisé (Cass. soc. 1-6-2016 n° 14-19.702 FS-PBRI ; Cass. soc. 5-10-2016 n°15-20.140 F-D).
Au titre de cette obligation, l’employeur est-il obligatoirement tenu de mettre en œuvre une enquête interne dès lors que des faits de harcèlements sont signalés ? Telle est la position de la salariée licenciée.
Des réponses de l'employeur à une salariée dénonçant un harcèlement, mais aucune enquête interne
La salariée en cause réclame, en effet, des dommages et intérêts au titre d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, alors qu’elle se déclare victime de faits de harcèlement moral de la part d’une collègue de travail. Pour elle, l’employeur a manqué à cette obligation puisqu’il n’a ordonné aucune enquête interne après la dénonciation de ces agissements de harcèlement.
Mais la cour d’appel estime, au contraire, que, par deux fois, l’employeur a répondu aux demandes de la salariée et a réagi rapidement : une première fois, il a pris position au sujet de différends l’opposant à sa collègue, et une seconde fois, il a répondu à ses questions en apportant des éclaircissements. Pour les juges, ces mesures sont suffisantes, quand bien même l’employeur n’a conduit aucune enquête interne.
L'appréciation souveraine des juges du fond doit prévaloir
Il est à noter que la Cour de cassation a pu juger que l'employeur qui n’a pris aucune mesure de prévention telle que la décision d'ordonner une enquête interne à la suite de correspondances évoquant des agissements inadaptés de la part d'un collègue avec lequel deux incidents étaient intervenus commet un manquement à son obligation en matière de santé et de sécurité des salariés (Cass. soc. 7-4-2016 n° 14-23.705 F-D). Mais les faits de l’espèce sont ici différents puisque l’employeur a bien pris des mesures, sans toutefois conduire une enquête interne.
Le magistrat rapporteur souligne, dans son rapport publié sur le site de la Cour de cassation, que la Haute juridiction n’a pas « consacré le principe d’une obligation d’un employeur, alerté d’un possible harcèlement moral, de diligenter en interne une enquête ». En revanche, pour l’avocat général, « l’enquête interne est l’un des éléments qui permet à l’employeur d’établir qu’il a pris la mesure des faits qui ont été portés à sa connaissance et qu’il a essayé de faire la lumière dessus pour prendre les mesures les plus opportunes » et semble donc un élément indispensable.
Ne se rangeant pas à l’avis de l’avocat général, la Cour de cassation s’en remet à l’appréciation souveraine des éléments de preuve opérée par la cour d’appel. Elle considère qu’au vu de ces éléments, les juges du fond ont pu estimer que l’employeur avait pris les mesures suffisantes pour préserver la santé et la sécurité de la salariée, même en l’absence d’enquête interne. La mise en œuvre d’une enquête interne ne constitue donc pas un prérequis pour prouver que l’employeur a bien rempli son obligation de sécurité.
On notera toutefois que, dans cette affaire, les faits de harcèlement moral ne sont pas établis. Il est donc possible que l’absence de harcèlement ait conduit la cour d’appel à juger que les réponses de l’employeur par mail aux interrogations de la salariée s’avéraient suffisantes. Cette jurisprudence reste donc à confirmer.
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