Lors d’une cession du capital d’une société de transport, le cédant consent à l’acquéreur une garantie de passif couvrant notamment « toute diminution d'actif et/ou augmentation du passif par rapport au(x) montant(s) de l'actif et du passif figurant dans les comptes garantis dès lors que cette diminution ou augmentation (i) aurait dû, en application des principes comptables et/ou des déclarations et garanties, être comptabilisée dans les comptes garantis et/ou (ii) aurait son origine, sa source ou sa cause dans des faits, événements ou circonstances antérieurs à la date de cession ».
La garantie précise qu’elle doit être mise en œuvre par l’acquéreur par lettre recommandée AR dans un délai de 45 jours suivant tout événement, fait ou circonstance susceptible de mettre en jeu la garantie, sous peine de déchéance de son droit à indemnisation.
Lors de la mise en œuvre de la garantie, acquéreur et cédant s’opposent sur le point de départ du délai de prévenance et sur certaines sommes réclamées par l’acquéreur, notamment des indemnités de licenciement dues à un salarié de la société.
1° Le délai de prévenance doit-il est calculé rétroactivement à compter de l’envoi de la lettre recommandée, comme le soutient l’acquéreur, ou de la réception effective de cette lettre par son destinataire, ainsi que le prétend le cédant ?
Ni l’un ni l’autre, répond la cour d’appel de Rennes. En effet, relève-t-elle, l’acte de cession prévoit expressément que « Toute notification au titre du Protocole devra être faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, par lettre remise contre récépissé ou par acte extrajudiciaire. Elle sera réputée avoir été faite à la date de la première présentation. ». Par suite, sans qu'il soit nécessaire d'interpréter cette clause claire, la date à retenir est celle de la présentation du courrier, soit l'avis de passage, et non la date d'envoi ou la date de réception, sauf lorsque celle-ci correspond à la date de présentation.
En conséquence, la cour d’appel écarte l’indemnisation de l’acquéreur pour une réclamation relative à une surévaluation comptable de l’actif « factor », plus de 45 jours s’étant écoulés entre la découverte de celle-ci par l’acquéreur et la date de présentation de sa lettre de réclamation au cédant.
A noter :
Les parties ont tout intérêt à indiquer avec précision les modalités de mise en œuvre de la garantie et la sanction de leur non-respect dans l’acte de cession (ou de garantie s’il est distinct).
Lorsque les parties ont prévu un délai de mise en œuvre de la garantie sans préciser la date à retenir pour sa mise en œuvre par courrier, la Cour de cassation fait application des règles édictées par le Code de procédure civile pour les notifications par voie postale (art. 688) : date de l’expédition à l’égard de la partie qui procède à la notification ; date de la réception de la lettre à l’égard de celui à qui elle est faite (Cass. com. 6-11-2024 n° 23-17.551 F-D : BRDA 24/24 inf. 3). Elle peut aussi s’en tenir aux termes de la garantie : ainsi, dans un cas où celle-ci exigeait que le cédant soit informé dans le délai convenu, c’est la date de réception de la lettre par ce dernier qui a été retenue (Cass. com. 2-2-2016 n° 14-21.739 F-D, rendu sur le fondement de l’ancien article 1134 du Code civil, devenu 1103, selon lequel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites).
2° Pour la réclamation au titre des indemnités de licenciement, le délai de prévenance a été respecté mais, estime la cour d’appel de Rennes, la réclamation n’est pas fondée pour les raisons suivantes : le salarié avait été déclaré inapte par le médecin du travail après la cession en raison d’un accident de travail survenue avant celle-ci. L'avis d'inaptitude précisait, quant aux indications relatives au reclassement : « éviter les mouvements de force ou répétitifs des membres supérieurs, éviter l'élévation du membre supérieur droit au-dessus de la ligne des épaules, un poste de conduite pure pourrait convenir ». Un reclassement était donc envisageable. La société de transport avait informé le salarié de l'impossibilité de le reclasser faute de poste, en lien avec les préconisations médicales, dans sa zone de mobilité géographique, puis l'avait licencié pour les mêmes raisons. Le salarié n’avait refusé aucune proposition de reclassement. Le licenciement n'était pas dû à l'inaptitude du salarié sur son poste, elle-même causée par l'accident, mais à l'impossibilité de reclassement, postérieure à la cession, au sein de la société, impossibilité que l’acquéreur ne corroborait par aucun document ; le nouveau passif généré par ce licenciement n’était donc pas couvert par la garantie.
A noter :
Sauf précision contraire dans la garantie de passif, la détermination de l'antériorité du passif garanti s'effectue au regard du fait générateur de ce passif. L’indemnité due à un salarié licencié pour inaptitude trouve-t-elle sa cause dans le licenciement ou dans l’accident à l’origine de l’inaptitude ?
La cour d’appel se fonde ici sur les dispositions du Code du travail : l’employeur est tenu de reclasser, dans l’entreprise ou le groupe, le salarié déclaré inapte à occuper son poste après un accident du travail ou une maladie professionnelle (art. L 1226-10) ; il ne peut le licencier que s’il prouve qu’il lui est impossible de proposer un nouvel emploi dans les conditions fixées par le médecin du travail ou si le salarié a refusé l'emploi proposé dans ces conditions ou si le médecin du travail a indiqué que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi (art. L 1226-12). Dans l’affaire commentée, le licenciement ne relevait d’aucun de ces cas.
Dans une affaire similaire où le salarié accidenté avait été déclaré apte à un poste ne nécessitant ni effort ni soulèvement de charge, jugé que le licenciement trouvait donc son origine, non dans l'accident, mais dans la décision de la société qui avait conclu à l'impossibilité du reclassement pour des motifs qui lui étaient propres, de sorte que les indemnités ne constituaient pas un passif antérieur à la cession (CA Paris 20-3-2008 n° 07-7204 : RJDA 10/08 n° 1033). En revanche, ce passif est antérieur et la garantie joue lorsque la société est dispensée de son obligation de reclassement, compte tenu des termes de l’avis du médecin du travail (Cass. com. 6-7-2022 n° 21-11.483 F-D : BRDA 17/22 inf. 3).
Documents et liens associés :
CA Rennes 3-12-2024 n° 23/02376