Une locataire subit de son vivant divers dégâts des eaux dans son appartement. À la suite de son décès, sa fille agit tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’héritière et de représentante de l’indivision successorale contre le bailleur et les compagnies d’assurance. Elle les assigne en réparation du trouble de jouissance et du préjudice moral qu’elle-même et sa mère ont subis. En appel, arguant de sa qualité d’héritière, elle limite le montant de sa demande au quart de la créance indemnitaire correspondant à sa part dans la succession.
Mais la cour d’appel déclare son action irrecevable. La fille ne pouvait pas agir seule pour demander au bailleur de lui payer sa seule part. En effet, cette action porte sur l’inexécution d’une obligation contractuelle ouvrant un droit indivis à indemnisation qu’il n’est possible d’apprécier que pour le tout et qui doit profiter à l’ensemble de l’indivision successorale qu’elle a vocation à accroître tant que le partage n’a pas eu lieu.
La Cour de cassation n’est pas de cet avis : le droit à indemnisation de la défunte a vocation à se convertir en dommages et intérêts, de sorte que tout héritier peut réclamer individuellement le règlement de sa part dans cette créance au bailleur. Appuyant son raisonnement sur la définition et l’exécution des obligations divisibles, elle tire les enseignements suivants :
la créance de dommages et intérêts réparant le préjudice causé par l’inexécution d’une obligation contractuelle est divisible quand bien même l’obligation inexécutée ne l’est pas (sur le fondement de C. civ. art. 1217 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ord. 2016-131 du 10-2-2016) ;
chaque héritier peut demander au débiteur le règlement de sa part d’une créance indemnitaire du défunt (sur le fondement de C. civ. art. 1220 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ord. 2016-131 du 10-2-2016).
A noter :
La Cour de cassation rappelle que :
l'obligation est divisible ou indivisible selon qu'elle a pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l'exécution, est ou n'est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle (C. civ. 1217 ancien) ;
l'obligation divisible doit être exécutée entre le créancier et le débiteur comme si elle était indivisible. La divisibilité n'a d'application qu'à l'égard de leurs héritiers, qui ne peuvent demander la dette ou qui ne sont tenus de la payer que pour les parts dont ils sont saisis ou dont ils sont tenus comme représentant le créancier ou le débiteur (C. civ. art. 1220 ancien).
La solution conserve tout son intérêt au lendemain de la réforme du droit des obligations puisque ces deux textes ont été repris (Ord. 2016-131 du 10-2-2016 ; C. civ. art. 1217 devenu art. 1320 ; C. civ. art. 1220 devenu art. 1309) : chaque héritier peut demander au débiteur le règlement de sa part d’une créance indemnitaire du défunt. Plus largement, il le peut toutes les fois où il est en présence d’une obligation divisible ; autrement dit, toutes les fois où l’obligation n’est pas solidaire ni la prestation due indivisible. Ainsi, dans les rapports entre les héritiers du créancier et son débiteur, il faut faire application du droit commun des obligations et réserver le droit de l’indivision dans les rapports entre les héritiers exclusivement.
Bien qu’il n’y soit pas fait référence expresse en l’espèce, rappelons que la fille était habilitée à exercer tous les droits de sa défunte mère et notamment à poursuivre son bailleur en vertu de l’attribution de la saisine que la loi lui reconnaît (C. civ. art. 724, al. 1).