La donation-partage, promue par la loi 2006-728 du 23 juin 2006, présente de multiples utilités qui expliquent son succès. Il demeure qu’il s’agit d’un acte complexe nécessitant d’en bien cerner le régime. Et c’est ce régime qui fait l’objet depuis quelques années d’évolutions jurisprudentielles dont la dernière en date est relative à la formation des donations-partages.
Depuis la loi du 23 juin 2006, il est assuré qu’il n’est nullement nécessaire à une personne d’avoir plusieurs héritiers présomptifs pour pouvoir réaliser une donation-partage. Certes, l’article 1075 du Code civil précise-t-il que toute personne peut faire entre ses héritiers présomptifs la distribution et le partage de ses biens et de ses droits. Pour autant, l’article 1075-1 du même Code vient tempérer cette exigence avec l’admission des donations-partages transgénérationnelles permettant à une personne de faire la distribution et le partage de ses biens et de ses droits entre des descendants de degrés différents, qu’ils soient ou non héritiers présomptifs. De même, l’article 1075-2 du Code civil, sous certaines conditions, permet à une personne n’ayant qu’un seul héritier présomptif de consentir une donation-partage audit héritier et à un tiers, ce dernier devant alors recevoir soit l’entreprise individuelle soit les parts sociales du donateur.
S’il n’est donc pas nécessaire que le donateur ait plusieurs héritiers présomptifs pour pouvoir réaliser une donation-partage, faut-il, pour qu’existe une telle donation, une acceptation par plusieurs donataires ? Par ailleurs, la révocation pour ingratitude ou pour inexécution des charges, lorsqu’elle réduit le nombre des donataires à un, entraîne-t-elle la disqualification de la donation-partage en donation ordinaire ? À ces questions, il doit être répondu pour que tant lors de la conclusion du contrat de donation que lors de son exécution, la sécurité de l’opération soit assurée.
Une donation-partage dès la première acceptation
Faut-il qu’il y ait eu au moins deux lots acceptés pour que la donation-partage soit formée ? Les réponses doctrinales divergent.
Ainsi et notamment pour le professeur Grimaldi, « la donation-partage se présente comme des offres d’allotissement qu’il appartient à chacun des intéressés d’accepter ou de décliner : la première acceptation donne son existence à l’acte, les suivantes ne feront qu’étendre son objet » (M. Grimaldi : Droit civil. Libéralités. Partages d’ascendants, Litec 2000, n° 1755). Au soutien de cette affirmation, il est avancé qu’ « on admet que le lotissement d’un seul indivisaire constitue un partage partiel, ce qui prouve qu’un partage n’implique pas nécessairement une pluralité de lots. Et le propre du partage d’ascendant n’est-il pas de permettre au père de famille de faire ce que le partage ordinaire permet aux copartageants de faire ensemble ? » (M. Grimaldi, précité, n° 1787 p. 563).
Pour d’autres, la réponse est clairement négative, le propre d’une donation-partage est la répartition de biens du donateur entre plusieurs personnes et suppose donc pour sa formation l’acceptation d’au moins deux gratifiés. Ainsi, pour le professeur Brenner, « comment comprendre que la donation-partage, qui ne se conçoit pas sans un partage (dont il a été expliqué qu'il ne pouvait reposer sur la seule volonté du disposant), puisse exister par le consentement d'un seul copartagé ? Il y a là une contradiction logique dont on ne voit pas qu'elle puisse être surmontée… » (C. Brenner, obs. sous Cass. 1e civ. 13-2-2019 n° 18-11.642 F-PB : JCP G 2019 n° 479).
Entre ces deux opinions doctrinales, la Cour de cassation a choisi la première en retenant, alors même que cela n’était pas utile à la résolution du litige, que « l'arrêt énonce à bon droit, d'une part, que la donation-partage, qui peut être faite en deux temps ainsi que le prévoit l'article 1076 du Code civil, ne constitue pas un partage ordinaire que les attributaires pourraient contester mais un partage fait par l'ascendant de son vivant et selon sa seule volonté, d'autre part, que le partage d'ascendant se forme dès que l'un des enfants a accepté son lot » (Cass. 1e civ. 13-2-2019 n° 18-11.642 F-PB, précité).
Relativement à ce choix, il peut être remarqué qu’il n’existe pas de contradiction entre cet arrêt et la jurisprudence excluant la qualification de donation-partage lorsqu’il n’y a qu’attribution de droits indivis (Cass. 1e civ. 6-3-2013 n° 11-21.892 FS-PBI ; Cass. 1e civ. 20-11-2013 n° 12-25.681 FS-PBI). En effet, la solution conduisant à admettre l’existence d’une donation-partage dès la première acceptation d’un donataire ne conduit nullement à la création d’une indivision. Et tel est bien ce à quoi voulait s’opposer la Cour de cassation avec la jurisprudence précitée.
Une donation-partage aux effets réduit.
Si, suivant la Cour de cassation, une donation-partage est formée dès la première acceptation, il n’en demeure pas moins que celle-ci risque de ne pas produire tous les effets attendus d’un tel acte.
En effet, lorsque la donation-partage a été consentie à un héritier réservataire, ce dernier pourra certes prétendre à ce que les biens qu’il a reçus s’imputent sur sa part de réserve, dès lors qu’il n’a pas été prévu le contraire.
De même, aucun rapport ne pourra être exigé de lui puisque tel est le sort réservé à tout lot de donation-partage.
En outre, ses cohéritiers ne pourront réclamer que leur part de réserve, dès lors qu’ils étaient tous conçus au moment de la formation de la donation-partage, ce conformément à l’article 1077-1 du Code civil.
Par contre, le donataire ne pourra bénéficier de l’évaluation dérogatoire de l’article 1078 du Code civil qui impose, pour que la date de la donation-partage puisse être retenue pour l’imputation et le calcul de la réserve, que tous les héritiers réservataires, vivants ou représentés au décès de l’ascendant, aient reçu un lot dans le partage anticipé.
L’intérêt d’une telle donation-partage est alors réduit puisque, pour la détermination de la masse de calcul de la réserve, il conviendra de faire application de l’article 922 du Code civil et, par conséquent, de tenir compte des plus-values et moins-values fortuites ou étrangères au fait du gratifié s’étant produites entre le jour de la donation et le jour du décès.
Une donation-partage maintenue
Lorsqu’une donation-partage est consentie à deux héritiers du donateur, elle peut survivre à une action en révocation pour ingratitude ou pour inexécution des charges. En effet, dès lors que la Cour de cassation admet qu’une donation-partage est formée dès la première acceptation d’un lot, il en résulte nécessairement que la révocation que subit l’un des deux donataires ne peut conduire à remettre en cause la qualification de donation-partage.
Relativement à de telles actions, la Cour de cassation a été conduite à préciser que « la révocation d'une donation-partage prononcée contre l'un des copartageants pour cause d'inexécution des charges, bien que rompant l'égalité du partage en opérant le retour dans le patrimoine du donateur des biens donnés et entrés dans le lot de ce copartageant, n'a pas pour conséquence l'anéantissement de ce partage pour le tout et laisse subsister à l'égard des autres copartageants l'effet de la transmission de propriété qui en est résulté à leur profit, y compris lorsque celle-ci consiste en une soulte versée par le donataire évincé » (Cass. 1e civ. 4-7-2006 n° 04-16.272 F-PB).
Si cette solution a été énoncée dans une hypothèse où il y avait plus de deux donataires, elle devrait également valoir lorsqu’il n’y avait au départ que deux donataires et qu’à l’arrivée, il n’en subsiste qu’un seul.
C’est alors d’une donation-partage avec un unique donataire dont il faudra tenir compte lors de la liquidation de la succession du donateur. Et cette fois-ci, il semble que le donataire pourrait bénéficier de l’évaluation dérogatoire de l’article 1078 du Code civil, ce car il n’aurait pas à subir les conséquences de l’ingratitude ou de l’inexécution des charges par son copartagé.
Une donation-partage partiellement incorporée
De l’ensemble de cette jurisprudence qui apparaît consacrer notamment l’opinion du professeur Grimaldi qui analyse la donation-partage comme un faisceau d’accords bilatéraux, il peut également être déduit qu’il serait possible d’incorporer partiellement une donation-partage consentie à deux enfants dans une nouvelle donation-partage, ordinaire ou transgénérationnelle.
Cette incorporation partielle n’aboutirait alors pas à la requalification de la donation-partage initiale alors même que celle-ci ne subsisterait qu’avec un unique donataire.
Il est d’ailleurs à remarquer que la loi, dans une hypothèse au moins, accepte qu’une telle incorporation partielle puisse intervenir, ce qui vient en soutien de la jurisprudence de la Cour de cassation ne retenant pas d’indivisibilité entre les différents allotissements.
Cette hypothèse est prévue à l’article 1078-10 du Code civil. Ainsi, lorsqu’un enfant a accepté que ses descendants soient allotis dans le cadre d’une donation-partage transgénérationnelle, il peut, s’il décide de consentir lui-même une donation-partage, incorporer les lots dont ont bénéficié ses descendants dans la donation-partage initiale (sur ces incorporations partielles, voir M. Grimaldi et R. Gentilhomme, Rendre transgénérationnelle une donation-partage antérieure : Defrénois 2011 p. 1344 ; F. Sauvage, La donation-partage transgénérationnelle dans tous ses états : Bull. Cridon de Paris, n° 23, 1er au 15-12-2011, § 30).
Extrait
Cass. 1e civ. 13-2-2019 n° 18-11.642
« Mais attendu que l’arrêt énonce à bon droit, d’une part, que la donation-partage, qui peut être faite en deux temps ainsi que le prévoit l’article 1076 du code civil, ne constitue pas un partage ordinaire que les attributaires pourraient contester mais un partage fait par l’ascendant de son vivant et selon sa seule volonté, d’autre part, que le partage d’ascendant se forme dès que l’un des enfants a accepté son lot ; qu’ayant constaté que deux des enfants avaient accepté le leur, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à un contrôle qui ne lui était pas demandé, en a exactement déduit que le refus de certains bénéficiaires était sans effet sur la validité et l’opposabilité de la donation-partage ; que le moyen n’est pas fondé »
Vivien ZALEWSKI-SICARD, maître de conférences, Université Toulouse Capitole
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Successions Libéralités n°s 10260 et 10320