Une entreprise est contrôlée par une société holding, elle-même contrôlée par une personne physique. Après la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, le comité d'entreprise décide d'exercer son droit d'alerte économique et de se faire assister par un expert-comptable.
L'entreprise, estimant que le cadre de la mission de l'expert est délimité par elle-même, une société contrôlée par la même société holding qu'elle et cette société holding, et que la partie de la mission de l'expert relative à la stratégie du « groupe » contrôlé par la personne physique susmentionnée et à la communication des comptes d'une autre société contrôlée par la même personne physique excède ledit cadre, saisit le juge des référés qui exclut provisoirement ce point de la mission. Le comité d'entreprise et l'expert saisissent le tribunal de grande instance.
La chambre sociale de la Cour de cassation censure l'arrêt de la cour d'appel, qui avait rejeté leurs demandes.
L’expert-comptable dont l’assistance a été décidée par le comité d’entreprise qui exerce son droit d’alerte économique a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes qui peut effectuer des investigations auprès des personnes ou des entités qui contrôlent l’entreprise.
Une cour d’appel ne peut pas rejeter la demande du comité d’entreprise et de l’expert-comptable désigné par lui visant à ce que celui-ci ait accès à la stratégie du groupe et aux comptes d’une société soeur, alors qu’il résulte de ses constatations qu’une seule personne contrôlait, au sens de l’article L 233-3 du Code de commerce, plusieurs sociétés dont l’entreprise objet du droit d’alerte économique.
Cette décision, pourtant non publiée, est intéressante à un double titre.
L'expert-comptable du comité d'entreprise a accès aux comptes des sociétés soeurs...
En premier lieu, l’arrêt réitère une jurisprudence établie selon laquelle le droit d’alerte du comité d’entreprise peut porter sur la situation globale du groupe. L’on rappellera que, selon l’article L 2325-37 du Code du travail dans sa rédaction applicable au litige, pour opérer toute vérification ou tout contrôle entrant dans l'exercice de ses missions, l'expert-comptable a accès aux mêmes documents que lecommissaire aux comptes. Or, l’article L 823-14 du Code de commerce, dans sa rédaction applicable, disposait que les investigations prévues à l'article L 823-13 peuvent être faites tant auprès de la personne ou de l'entité dont les commissaires aux comptes sont chargés de certifier les comptes que des personnes ou entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle au sens de l'article L 233-3 du même Code. Malgré les termes du Code de commerce (« entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle»), la Cour de cassation avait déjà validé une expertise portant sur les conséquences économiques pour le groupe de l’acquisition d’une société étrangère, les investigations portant dès lors sur cette nouvelle filiale (Cass. soc. 18-1-2011 n° 10-30.126 FS-PB : RJS 4/11 n° 344 ). Dans une décision du 21 septembre 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation a admis, de façon moins audacieuse, compte tenu du texte même de l’article L 823-13 du Code de commerce, que l’expert du CE puisse exiger des informations concernant la stratégie de la société-mère (Cass. soc. 21-9-2016 n° 15-17.658 FS-PB : RJS 12/16 n° 787). Dans la présente affaire, elle admet, dans la ligne de cette jurisprudence, des investigations portant sur des sociétés soeurs faisant partie du groupe en cause.
... même si la mère est une personne physique
En second lieu, la Haute juridiction réitère, semble-t-il, le même raisonnement que celui tenu récemment (Cass. soc. 21-9-2017 n° 16-23.223 FS-PB) à propos de la notion de groupe en ce qui concerne l’appréciation des moyens financiers du groupe en matière de plans de sauvegarde de l’emploi. La problématique est en effet très proche, puisqu’ici, il s’agit du droit d’alerte du comité d’entreprise en prévision de licenciements économiques. Dans cette affaire, la chambre sociale avait admis qu’une personne physique puisse être, directement ou non, l’entreprise dominante du groupe, ce que permet l’article L 2331-1 du Code du travail sur le comité de groupe, puisqu’il se réfère à la notion d’entreprise. Le Code de commerce, en revanche, renvoyait à l’article L 233-3 et donc à la notion de « société », mais l’ordonnance 2015-1576 du 3 décembre 2015 a modifié ce texte pour y substituer les termes de « personne, physique ou morale ». Tant en droit commercial qu’en droit du travail, il est clair désormais qu’un groupe peut être possédé par une personne physique, sans l’intermédiation d’une société holding. Ceci suscite sans doute une difficulté lorsque la personne physique possède des participations majoritaires dans un certain nombre de sociétés ayant des activités disparates. Mais cette difficulté doit se résoudre au niveau de la notion de secteur d’activité du groupe au sens de la jurisprudence traditionnelle en matière de licenciement pour motif économique. En tout cas, elle ne peut pas conduire à la création, comme l’avait fait la cour d’appel dans la présente affaire, d’une nouvelle notion restrictive du groupe suivant des critères qui ne sont pas ceux retenus par la Cour de cassation pour la définition du groupe en ce qui concerne le motif économique par référence à l’article L 2331-1 du Code du travail (Cass. soc. 16-11-2016 n° 14-30.063 FS-PBRI : RJS1/17 n° 19), ainsi que pour la pertinence d’un plan de sauvegarde de l’emploi (Cass. soc. 16-11-2016 n° 15-15.190 FS-PBRI : RJS1/17 n° 22). Les activités en l’espèce étaient d’ailleurs complémentaires, puisqu’il s’agissait du papier pour les feuilles de tabac et une des sociétés était cliente de l’autre. Dans tous les groupes de sociétés, il y a une répartition des activités entre les différentes filiales. C’est donc à juste titre que cet arrêt a été cassé, les motifs de la cour d’appel sur la notion de groupe étant déclarés inopérants.
Pour le comité social et économique, la question se pose
La solution retenue ici est-elle transposable à l'expert-comptable que le comité social et économique pourra désigner dans le cadre de son droit d'alerte économique ?
La question se pose dans la mesure où la règle selon laquelle l'expert-comptable du comité d'entreprise a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes, instaurée par la loi Auroux 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel et étendue à toutes les expertises-comptables du CE créées par la suite, n'a été maintenue par l'ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017 que pour l'expert désigné par le CSE dans le cadre de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise (C. trav. art. L 2315-89). Pour les autres expertises du CSE, dont celle effectuée dans le cadre du droit d'alerte, l'employeur devra fournir à l'expert « les informations nécessaires à l'exercice de sa mission » (C. trav. art. L 2315-83).
A notre sens toutefois, et compte tenu de la construction jurisprudentielle effectuée par la Cour de cassation autour de la notion de groupe, il n'est pas certain que la solution retenue dans l'arrêt ici commenté soit remise en cause par la modification opérée par l'ordonnance du 22 septembre 2017. Elle ne devrait pas interdire au juge de décider que, dans le cadre du droit d'alerte déclenché par le comité social et économique d'une entreprise, l'accès aux comptes d'une société soeur dont l'activité est en rapport avec celle de cette entreprise (cliente, fournisseur, concurrente, etc.) est nécessaire à la mission de l'expert du comité. A condition qu'expert et comité lui fournissent un argumentaire suffisamment étayé.
Pour en savoir plus sur le recours du comité d'entreprise à un expert-comptable : voir Mémento Social nos 8940 s.