Pourquoi l’instauration d’un droit à la déconnexion ?
Anne-Sophie Le Fur-Leclair : Précisons d’abord que ce droit est la conséquence d'un développement exponentiel des outils numériques professionnels, lesquels empiètent de manière évidente sur la sphère privée. Selon une étude APEC de décembre 2014, plus de 89 % des cadres estiment que les outils connectés contribuent à les faire travailler hors de l'entreprise et 23 % seulement d'entre eux se déconnectent systématiquement en dehors de leur temps de travail. La frontière entre la vie professionnelle et personnelle n'existe quasiment plus. Cette continuité de la vie professionnelle peut, dans certain cas, engendrer du stress, de la fatigue, elle peut être porteuse de risques pour la santé des salariés, les fameux risques psycho-sociaux.
A qui bénéficie ce nouveau droit ?
A.-S. L.F.L. : A priori à tous les salariés même si, dans les faits, les plus concernés sont les commerciaux itinérants, les salariés en situation de télétravail et bien évidemment les cadres. Il est important, si ce n'est urgent, que les entreprises prennent conscience du danger de la connexion permanente de leurs salariés.
Pourquoi ?
A.-S. L.F.L. : Les contentieux sont déjà nombreux et portent principalement sur le paiement d'heures supplémentaires et sur le non-respect des heures de repos (des emails envoyés tôt le matin et tard le soir constituent un commencement de preuve de l'exécution d‘heures supplémentaires). Sans compter que la communication intempestive par email peut parfois dégénérer en situation de harcèlement moral. La loi Travail du 8 août 2016 donne l'occasion aux entreprises de se saisir de ce problème qui, si elles n'y prêtent pas attention, peut leur coûter très cher.
Comment ce droit à la déconnexion peut-il être abordé dans les entreprises ?
A.-S. L.F.L. : L'article L 2242-8 du Code du travail, issu de la loi du 17 août 2015, impose une négociation annuelle sur la qualité de vie au travail. La loi Travail a ajouté un 7e alinéa à cet article imposant une négociation sur le thème du droit à la déconnexion, et ce à compter du 1er janvier 2017.
Plus précisément ?
A.-S. L.F.L. : La négociation annuelle devra porter sur les modalités du plein exercice par le salarié de ce droit à la déconnexion et sur la mise en place, par l'entreprise, de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congés, ainsi que de la vie personnelle et familiale.
Que se passera-t-il à défaut d'accord ?
A.-S. L.F.L. : L'employeur devra élaborer une charte, après avis du comité d'entreprise, ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définira les modalités de l'exercice du droit à la déconnexion et prévoira, en outre, la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d'encadrement et de direction, d'action de formation et de sensibilisation à l’usage raisonnable des outils numériques. Il appartiendra, bien évidemment, à l'employeur et à ses interlocuteurs d'innover en la matière. Pour autant, plusieurs grandes entreprises ont déjà mis en place des dispositifs de mise en veille de leurs serveurs, voire des journées sans courriels afin de privilégier les rapports directs. Autre solution plus radicale : la remise matérielle des ordinateurs et des téléphones portables à la veille d'un départ en congé.
Quelles sont les sanctions encourues en cas d’absence de négociation sur le droit à la déconnexion ?
A.-S. L.F.L. : La loi Travail ne prévoit aucune sanction. Reste que, de mon point de vue, les entreprises ont intérêt à se saisir très rapidement de ce sujet pour les raisons que j’ai précédemment évoquées.
Propos recueillis par Laurent MONTANT
Anne-Sophie Le Fur-Leclair a intégré le cabinet Cornet Vincent Ségurel (lien pointant sur le site) en 2000. Depuis plus de 15 ans, elle accompagne une clientèle de PME au plan national, présentes, en autres, dans le secteur du textile, de l'industrie, du bâtiment, du commerce, des services, de la GMS et de l‘enseignement.