Un couple construit une maison sur un terrain dont il n’est pas propriétaire. En 2005, un homme reçoit par succession la propriété de ce même terrain. Le couple estime avoir acquis la propriété de cette parcelle en vertu de l’application de la prescription trentenaire. Il assigne cet homme en revendication de la propriété de cette parcelle. Ce dernier demande la libération des lieux et la démolition de la maison, en se prévalant de son titre de propriété.
La cour d’appel accueille cette demande de libération des lieux et de démolition. Elle estime que le couple occupe la parcelle de manière illicite puisque la preuve de l’acquisition de la propriété de cette parcelle par l’effet de la prescription trentenaire n’est pas rapportée.
La Cour de cassation confirme. Son raisonnement est le suivant :
- le droit au respect du domicile de l’occupant est protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- les mesures d’expulsion et de démolition d’un bien construit illégalement sur le terrain d’autrui caractérisent une ingérence dans ce droit ;
- une telle ingérence est fondée sur les articles 544 et 545 du Code civil, qui affirment le caractère absolu du droit de propriété. Elle vise à garantir au propriétaire du terrain le droit au respect de ses biens, protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention précitée.
La Cour conclut ainsi : l’expulsion et la démolition sont les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien. L’ingérence en résultant ne peut donc pas être disproportionnée au regard de l’atteinte portée au droit de propriété.
En l’espèce, en l’absence d’acquisition de la parcelle par les occupants par le jeu de la prescription, il fallait que le véritable propriétaire puisse retrouver la plénitude de son droit sur le bien. La cour d’appel ne pouvait qu’ordonner l’expulsion des habitants et la démolition de l’ouvrage.
A noter : par cet arrêt destiné à la plus large publication, la Cour de cassation affirme avec force la primauté du droit au respect de ses biens sur le droit au respect du domicile.
Le droit au domicile est une composante du droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. A ce titre, ce droit ne peut subir une ingérence d'une autorité publique que si « cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » (Conv. EDH art. 8 2°). Lorsqu’une telle ingérence existe, il faut donc vérifier qu’elle est proportionnée au « but légitime poursuivi » (CEDH 25-2-1993 n° 11471/85, Crémieux c/ France ; CEDH 25-2-2003 n° 51772/99, Roemen et Schmit c/ Luxembourg).
Dans notre affaire, le pourvoi estimait que, pour vérifier une telle proportionnalité entre l’ingérence et le but légitime poursuivi, il fallait tenir compte notamment de l’ancienneté de l’occupation des lieux et de la situation particulière de la personne concernée, et donc de sa vulnérabilité. En l’espèce, la maison était construite depuis plus de 20 ans lorsque les demandes d’expulsion et de démolition avaient été formulées par le propriétaire ; la femme était décédée durant l’instance d’appel et l’homme était âgé de plus de 87 ans. Mais aucun de ces critères n’a infléchit la position des juges d’appel et de cassation.
Claire BABINET
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