Générateur d’une succession anomale distincte de la succession ordinaire, le droit de retour légal des collatéraux privilégiés sur les biens de famille se trouve au cœur de l’affaire ci-après. Rappelons d'abord le contenu de ce droit : en cas de prédécès des père et mère, et par dérogation à la règle selon laquelle le conjoint prime les frères et sœurs du défunt, les biens que le défunt avait reçus de ses ascendants par succession ou par donation et qui se retrouvent en nature dans sa succession sont, en l’absence de descendant, dévolus par moitié aux frères et sœurs du défunt (ou à leur descendants). Une condition : les frères et sœurs (ou neveux et nièces) doivent eux-mêmes être des descendants du ou des ascendants à l’origine de la transmission des biens (C. civ. art. 757-3).
Revenons à l’affaire. Un homme se voit attribuer plusieurs immeubles, moyennant le versement d’une soulte à ses cohéritiers, dans le partage des successions de ses parents. Il décède à son tour laissant son épouse mais aucun descendant. La veuve conteste en justice le droit de retour légal sur les immeubles bénéficiant aux trois sœurs du défunt ainsi qu’à son neveu et sa nièce, son frère étant prédécédé.
Confirmant l’arrêt d’appel ayant rejeté la demande de la veuve, les Hauts Magistrats apportent d’importantes précisions sur le régime de ce droit de retour :
- par l’effet déclaratif du partage, le défunt est devenu propriétaire des immeubles dès le décès de ses parents, de sorte qu’il a bien reçu ces biens de ses ascendants « par succession ». Par ailleurs, l’article 757-3 n’opère aucune distinction selon que les biens reçus par le défunt l’ont été ou non à charge de soulte ;
- les immeubles ont beau avoir été attribués au défunt dans le partage successoral contre le paiement d’une soulte, les bénéficiaires du droit de retour ne sont pas tenus pour autant d’indemniser la succession ordinaire ;
- faute de disposition en ce sens dans l’article 757-3, la succession ordinaire n’a pas à être indemnisée en raison des améliorations apportées aux immeubles par le défunt.
A noter : Certains doutaient que les biens reçus par le défunt dans un partage successoral puissent entrer dans le champ d’application du droit de retour légal des collatéraux privilégiés, n’ayant pas été littéralement « reçus par succession » (M.-C. Forgeard, R. Crône et B. Gelot : La réforme des successions, Defrénois 2002, n° 10 note 14). La Cour de cassation ne partage pas leur doute.
Quant à l’absence d’indemnisation de la succession ordinaire au regard de la soulte payée par le défunt pour l’attribution des biens faisant retour, elle rejoint l’opinion énoncée sur ce sujet par la 4e commission du 106e Congrès des Notaires de France même si cette solution conduit, de facto, à « vampiriser » la succession ordinaire (Couples, patrimoine : les défis de la vie à 2 : Bordeaux 2010, n° 4265 ; comparer G. Paris : Les droits de retour légaux des articles 738-2 et 757-3 du Code civil, thèse Paris II 2012, n° 231 s. concernant le cas où le défunt aurait reçu les biens dans une donation-partage avec soulte).
Enfin, en admettant que le bénéficiaire du retour recueille les biens dans leur état au décès, sans rien devoir à raison des améliorations qui sont le fait du défunt, les Hauts Magistrats consacrent la meilleure doctrine (M. Grimaldi : Droit des successions, LexisNexis 7e éd. 2017, n° 267 note 72). Il ne s’agirait là que de l’une des conséquences du caractère successoral du droit de retour.
Emmanuel DE LOTH
Pour en savoir plus sur le droit de retour des collatéraux privilégiés sur les biens de famille : voir Mémento Droit de la famille nos 11062 s.