Les cotisations des adhérents constituent la source principale de financement des syndicats. Garantes, en particulier, de l’indépendance financière des organisations, leur importance a conduit le législateur à en faire non seulement un critère de leur représentativité mais également à interdire à tout employeur de prélever les cotisations syndicales sur les salaires de son personnel et de les payer au lieu et place de celui-ci (C. trav. art. L 2141-6).
Dans un contexte de désaffection syndicale et pour favoriser le dialogue social dans l’entreprise, certains employeurs ont mis en place des systèmes prévoyant le versement de fonds par l'employeur à destination des syndicats. Initiée par Axa avec la mise en place du « chèque syndical », dispositif où chaque salarié reçoit un chèque destiné à financer l'organisation de son choix et le laissant libre de s'en servir ou non, l'expérience a tenté diverses autres entreprises. Tel était le cas ici.
En l’espèce, le litige portait sur une disposition d’un accord collectif prévoyant le remboursement par l’employeur, aux salariés syndiqués, du reste à charge des cotisations syndicales individuelles versées aux syndicats représentatifs, après soustraction de la partie fiscalement déductible de l’impôt sur le revenu. Ce remboursement devait être effectué par l’intermédiaire des syndicats et d’un organisme tiers.
Un syndicat avait demandé la suspension de ce dispositif. En défense, l’employeur faisait valoir qu’afin de garantir l’anonymat des adhérents, le calcul des montants à rembourser était effectué, pour chaque organisation syndicale, par un organisme extérieur indépendant à partir des informations concernant le nombre de membres et le montant de leurs cotisations civiles. Au cours du trimestre suivant, l’entreprise versait ces montants à l’organisme extérieur indépendant qui les reversait ensuite à l’organisation syndicale, à charge pour elle de les verser à ses adhérents.
Cette argumentation n’avait pas convaincu la cour d’appel, qui avait estimé légitime la suspension de ce dispositif conventionnel, considérant qu’il permettait à l’employeur de disposer d’une information non prévue par la loi sur le nombre d’adhérents des syndicats et d’une information sur l’influence des syndicats tous les ans, ce qui créait un risque de mettre en œuvre un contrôle de l’influence des organisations syndicales.
Amenée pour la première fois, à notre connaissance, à se prononcer sur ce type d’accords, la chambre sociale de la Cour de cassation en admet, tout d’abord, la licéité. En application de l’article L 2141-10 du Code du travail, les dispositions légales ne font pas obstacle aux conventions ou accords collectifs de travail comportant des clauses plus favorables. À ce titre, il ne paraît pas formellement interdit de conclure des accords de nature à donner aux organisations syndicales des moyens supplémentaires.
Mais la Haute Juridiction subordonne cette licéité à une série de conditions cumulatives, dont certaines faisaient défaut en l’espèce. Elle pose aussi le principe de l’interdiction pour l’employeur de prendre à sa charge la totalité du montant des cotisations syndicales des salariés, au nom du critère d’indépendance visé à l’article L 2121-1, 6° du Code du travail.
Un dispositif conventionnel de prise en charge des cotisations salariales licite à condition de…
… ne pas porter atteinte à la liberté syndicale
En application de l’article L 2141-1 du Code du travail, tout salarié peut librement adhérer au syndicat professionnel de son choix. Aussi, la Cour de cassation relève que, si un accord collectif peut prévoir la prise en charge par l’employeur d’une partie des cotisations annuelles syndicales des salariés, c’est à la condition de ne porter aucune atteinte à leur liberté d’adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de leur choix.
La Cour de cassation a considéré qu’en l’espèce cette condition n’était pas respectée dans la mesure où le dispositif étant réservé aux syndicats représentatifs, cette circonstance pouvait influer sur le choix des salariés.
… respecter l’anonymat des adhérents
L’accord conventionnel organisant le financement par l’employeur des cotisations syndicales des salariés ne doit pas lui permettre de connaître l’identité des salariés adhérents aux organisations syndicales.
Cette condition était remplie en l’espèce puisque l’accord en cause déléguait à un organisme extérieur indépendant la charge de procéder au calcul des montants dus à partir des informations concernant l’identité et le nombre de membres ainsi que le montant des cotisations annuelles.
… bénéficier à tous les syndicats présents dans l’entreprise
Le Code du travail impose à tout employeur un principe de neutralité syndicale qui lui interdit d’employer un quelconque moyen de pression en faveur (ou à l'encontre) d'une organisation syndicale (C. trav. art. L 2141-7). En application de ce principe, la Cour de cassation considère que la prise en charge patronale des cotisations syndicales doit concerner toutes les organisations syndicales présentes dans l’entreprise.
Réservé aux syndicats représentatifs, l’accord collectif litigieux n’était donc pas licite, sans compter l’incidence qu’il pouvait avoir sur le choix de syndicalisation des salariés. Il aurait dû bénéficier aussi aux syndicats non représentatifs dans l’entreprise.
La prise en charge ne doit pas porter sur la totalité de la cotisation due
Se fondant sur le critère d’indépendance visé à l’article L 2121-1, 6° du Code du travail, la Cour de cassation affirme enfin que le montant de la participation de l’employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation annuelle due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales.
En l’espèce, l’accord collectif prévoyait le financement par l’employeur de la partie des cotisations individuelles annuelles restant à charge des salariés, une fois soustraite la part fiscalement déductible de l’impôt sur le revenu.
Le dispositif conventionnel litigieux constituait donc, à un double titre (parce qu’il ne visait que les syndicats représentatifs et parce qu’il couvrait la totalité du montant de l’adhésion), un trouble manifestement illicite, ce qui justifiait d’ordonner sa suspension en référé.
Pour en savoir plus sur l'action syndicale dans l'entreprise : voir Mémento Social nos 73240 s.
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