Certains salariés seront grévistes
Qui peut faire grève ?
Tout salarié d’une entreprise privée peut utiliser son droit de grève, qui est un droit fondamental reconnu par la Constitution.
La grève est définie comme la cessation collective et concertée du travail visant à appuyer des revendications professionnelles.
En principe, le mouvement doit être suivi par au moins deux personnes pour être collectif mais un salarié peut faire grève seul dans l’entreprise dans deux cas : s’il est le seul salarié de cette entreprise (Cass. soc. 13-11-1996 n° 93-42.247 PBR), ou s’il obéit à un mot d’ordre formulé au plan national (Cass. soc. 29-3-1995 n° 93-41.863 PF).
La grève n’est pas forcément organisée par un syndicat, et des salariés non-syndiqués peuvent la suivre.
Dans le secteur privé, l’exercice de la grève n’est soumis à aucun délai de prévenance, préavis (de la part d’un syndicat ou des grévistes) ni déclaration individuelle des intéressés. L’employeur doit simplement être informé des revendications au moment du déclenchement du mouvement, par les grévistes eux-mêmes ou bien par le biais d’un syndicat, d’un tract ou de l’inspecteur du travail.
Dès lors, la clause d’un accord collectif tendant à imposer des formalités limitant ou réglementant l’exercice du droit de grève est inopposable aux salariés (Cass. soc. 7-6-1995 n° 93-46.448 PF). Il en est de même d’une clause insérée dans le contrat de travail.
A noter : Des règles spécifiques de prévenance sont prévues dans les entreprises chargées d’un service public de transport terrestre de voyageurs et dans les entreprises de transport aérien et de services aéroportuaires.
Quelles formes peut prendre la grève ?
La grève doit entraîner un arrêt total du travail.
Si la cessation du travail est illicite, elle peut justifier une sanction selon la gravité de la faute, dans les conditions de droit commun.
Sont illicites les grèves perlées et grèves du zèle ralentissant ou désorganisant la production (Cass. soc. 16-5-1989 n° 85-43.359 P), les grèves limitées à une obligation du contrat de travail (Cass. soc. 11-7-2016 n° 14-14.226 FS-PB), les grèves de solidarité sauf si elles portent également des revendications professionnelles (Cass. soc. 5-1-2011 n° 10-10.685 FS-PB) et les grèves dites d’autosatisfaction consistant à travailler dans les conditions revendiquées (par exemple, ne pas venir travailler le samedi pour réclamer la fin du travail ce jour-là : Cass. soc. 23-11-1978 n° 77-40.946 P).
La durée de la grève n’est pas encadrée, elle peut aller de quelques minutes à une longue période. Des débrayages courts et répétés sont possibles mais ils peuvent être jugés abusifs s’ils entraînent une désorganisation anormale de l’entreprise (Cass. soc. 10-7-1991 n° 89-43.147 P).
Quelles conséquences sur le contrat de travail ?
Le salarié en grève voit son contrat de travail suspendu.
De ce fait, l’employeur peut opérer une retenue sur salaire correspondant strictement à la durée de la cessation du travail. La retenue concerne le salaire ainsi que ses compléments et accessoires.
De manière exceptionnelle, les grévistes doivent être payés si leur arrêt de travail est dû à un manquement grave et délibéré de l’employeur à ses obligations (Cass. soc. 9-5-2012 n° 10-27.115 FS-D) et, évidemment, si l’accord de fin de grève le prévoit.
A noter : Il est interdit de mentionner la participation à la grève sur le bulletin de paie (C. trav. art. R 3243-4).
Mais l’employeur ne peut en aucun cas sanctionner le salarié au seul motif de sa participation à la grève. Le licenciement de salariés en raison de faits commis pendant celle-ci n’est possible qu’en cas de faute lourde caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur. Plus largement, l’employeur ne peut prendre aucune mesure discriminatoire envers les grévistes (C. trav. art. L 5211-1, L 1132-2 et L 1132-4). La discrimination peut aussi prendre la forme de mesures favorables au profit des non-grévistes.
L’absence pour grève peut être prise en compte pour minorer une prime soumise à une condition de présence, à condition que toutes les absences, hormis celles qui sont assimilées par la loi à du temps de travail effectif, soient prises en compte de la même manière (Cass. soc. 7-11-2018 n° 17-15.833 F-PB).
Comment organiser le travail pendant le mouvement ?
Il est interdit de remplacer les salariés grévistes par du personnel recruté dans ce but en CDD ou en intérim (C. trav. art. L 1242-6 et L 1251-10). Il est possible toutefois de faire exécuter le travail par des collègues, y compris par des heures supplémentaires, ou de faire appel à une entreprise extérieure (Cass. soc. 15-2-1979 n° 76-14.527 P).
Les grévistes ne peuvent pas empêcher les non-grévistes de travailler, par le blocage, l’occupation du site ou la dégradation du matériel, qui constituent des actions illégales pouvant être sanctionnées pénalement.
L’employeur doit fournir du travail aux non-grévistes et les rémunérer, sauf s’il justifie d’une situation contraignante l’ayant empêché de fournir du travail (Cass. soc. 27-5-1998 n° 96-42.303 P).
D'autres salariés auront du mal à rejoindre le lieu de travail
De nombreux salariés qui empruntent les transports en commun rencontreront des difficultés à rejoindre leur lieu de travail. En principe, une grève des transports ne dispense pas le salarié de son obligation de venir au travail. L’employeur a toutefois intérêt à mettre en œuvre des mesures afin de permettre à l’activité de se poursuivre, par exemple en mettant en relation les salariés pour favoriser le covoiturage, aménager les horaires de travail pour donner plus de souplesse aux salariés, ou encore favoriser le télétravail.
Etendre le télétravail ?
Lorsque l'activité exercée et les outils de l'entreprise le permettent, le télétravail occasionnel peut être une solution, mais il ne peut pas être imposé par le salarié ou l’employeur.
Pour les salariés qui bénéficient déjà d’un télétravail régulier, il est possible, en accord avec eux, de décaler – voire augmenter – leurs jours de télétravail en fonction des jours de grève annoncés. Pour les autres salariés, un télétravail occasionnel peut être prévu par simple accord avec les salariés, même en l’absence d’accord collectif ou de charte sur le télétravail. Il suffit de formaliser l’accord entre l’employeur et le salarié par tout moyen (C. trav. art. L 1222-9), y compris par un échange de mail.
A notre avis : En pratique, il est nécessaire d’anticiper les questions de matériel : disponibilité de celui de l’entreprise, ou adaptation exceptionnelle de celui du salarié (avec son accord), y compris en termes de sécurité.
Accorder des congés ?
Si l'organisation du travail le permet, l'employeur peut proposer au salarié de poser des congés ou des RTT pour les jours de grève pendant lesquels il est empêché de rejoindre son lieu de travail. Cependant, l'employeur ne peut pas le lui imposer, et inversement, il n’est pas tenu d’accepter les jours de congés demandés par le salarié. L’accord des deux est nécessaire.
Et en cas d’absences ?
D’anciennes décisions de justice ont jugé justifié par une faute le licenciement d’un salarié ayant refusé de rejoindre son entreprise en raison d'une grève des bus de 18 jours sans avoir essayé d'organiser son transport pendant la durée totale de la grève à une période où l'entreprise avait un surcroît d'activité (CA Bordeaux 28-12-1999 n° 97-5767), ou en raisons d’absences répétées dues à une grève des transports, les autres salariés ayant trouvé des solutions pour rejoindre leur lieu de travail (CA Paris 26-5-2005 n° 04-36767)
A en revanche été jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié motivé par son départ du travail avant l'heure normale en raison d'une grève des transports, alors qu'aucune faute ne lui est imputée et qu'il n'a jamais, en 5 ans, fait l'objet d'une observation (Cass. soc. 10-2-1993 n° 91-40.746 D).
Par ailleurs, en fonction de l'ampleur du mouvement, la force majeure pourrait le cas échéant être invoquée par les salariés domiciliés très loin de leur lieu de travail, s’ils justifient d’une attestation de la SNCF ou de la RATP attestant de l’absence de moyen de transport.
L’entreprise peut-elle recourir à l’activité partielle ?
Le recours à l'activité partielle (anciennement dénommé chômage partiel) par l’employeur peut dans certains cas être autorisé par l’administration, par exemple en cas difficultés d'approvisionnement en matières premières ou en énergie (C. trav. art. R 5122-1), qui peuvent être liées aux grèves d'entreprises extérieures (EDF, SNCF, transports…) ayant des incidences sur l'activité. L'absence de nombreux salariés empêchés de rejoindre leur lieu de travail en raison des grèves, si elle entraine une réduction d'activité, est-elle susceptible de constituer une circonstance de caractère exceptionnel rendant possible le recours à l'activité partielle en application de l'article R 5122-1 précité ? La question est ouverte.
A noter : Dans tous les cas, l’employeur qui souhaite recourir à une mesure d’activité partielle doit adresser à la Direccte une demande préalable d’autorisation précisant les motifs du recours à l'activité partielle, la période prévisible de sous-activité, et le nombre de salarié concerné, accompagnée de l’avis préalable du CSE. La décision administrative est notifiée dans un délai de 15 jours, l’absence de réponse dans ce délai valant autorisation (C. trav. art. R 5122-2 et R 5122-4). Le salarié placé en activité partielle perçoit une indemnité horaire, versée par l'employeur à l'échéance habituelle de la paie, correspondant à 70 % de sa rémunération brute horaire, l’employeur pouvant se faire rembourser une indemnité horaire de 7,74 € pour les entreprises de 250 salariés au plus, 7,23 € dans les autres (C. trav. art. D 5122-13 et R 5122-18).
Fanny DOUMAYROU et Aliya BEN KHALIFA
Pour en savoir plus sur le droit de grève : voir Mémento Social nos 10700 s.