Un homme décède laissant son épouse et leurs trois enfants. L’épouse est légataire de l’usufruit d’une importante collection de dessins et de bronzes, le testament prévoyant qu’elle est dispensée de fournir caution pour l’exercice de cet usufruit. Les enfants sollicitent en justice diverses mesures conservatoires de leurs droits de nus-propriétaires : inventaire de la collection, apposition de scellés sur les encadrements, visite annuelle de la collection avec l’assistance d’un expert, interdiction de déplacer les œuvres sans leur autorisation unanime, etc.
La cour d’appel de Paris refuse d’ordonner de telles mesures aux motifs, notamment, que la dispense de caution prévue par le testament révèle de la part du défunt une confiance particulière dans l’usage que son épouse ferait de l’usufruit et qu’aucune initiative déraisonnable ne peut être reprochée à cette dernière de nature à justifier des mesures conservatoires. Concernant plus particulièrement la demande d’inventaire, la cour la juge inutile, un inventaire des œuvres d’art ayant été entrepris par un notaire à l’ouverture de la succession, le notaire liquidateur pouvant par ailleurs procéder également à un inventaire de la collection.
La Cour de cassation confirme, sauf en ce qui concerne le refus d’inventaire, point sur lequel elle censure les juges d’appel au visa des articles 600 et 1094-3 du Code civil. Selon le premier de ces textes, l’usufruitier ne peut entrer en jouissance qu’après avoir fait dresser, en présence du propriétaire ou ce dernier dûment appelé, un inventaire des meubles sujets à l’usufruit. Aux termes du second, qui concerne les libéralités entre époux, les enfants ou descendants peuvent, nonobstant toute stipulation contraire du disposant, exiger, quant aux biens soumis à l’usufruit du conjoint survivant, qu’il soit dressé inventaire des meubles.
Les enfants, nus-propriétaires, étaient donc en droit d’exiger qu’un inventaire des œuvres formant la collection objet de l’usufruit de leur mère, soit dressé en leur présence ou après avoir été dûment appelés.
A noter : Bien que la loi soit silencieuse sur ce point, la doctrine majoritaire admet que le disposant peut dispenser l’usufruitier d’établir l’inventaire des meubles et l’état des immeubles (Rép. civ. Dalloz, v. Usufruit par A. Chamoulaud-Trapiers, n° 178 ; J.-Cl. Civil Code, Art. 600 à 604 par L. Tranchant, n° 12). Mais lorsque l’usufruit résulte d’une libéralité entre époux, les enfants ou descendants peuvent exiger qu’il soit dressé inventaire, nonobstant toute disposition contraire du titre constitutif de l'usufruit (C. civ. art. 1094-3 ; S. Chaine et M. Iwanesko, La donation entre époux : JCP N 2000 n° 13 p. 568 § 54). La mesure est ici d’ordre public et le défunt ne saurait donc en priver ses enfants. L’obligation pour l’usufruitier de donner caution est en revanche moins absolue que celle de faire inventaire et peut faire l’objet d’une dispense dans l’acte constitutif de l’usufruit (C. civ. art. 601), notamment un testament (CA Paris 5-6-1950 : Gaz. Pal. 1950, 2, p. 96).
À défaut d'inventaire, le nu-propriétaire sera admis à la fin de l'usufruit à faire la preuve de la consistance du mobilier et de l'état des lieux par tous moyens, y compris par commune renommée, « mode de preuve particulièrement redoutable puisqu'il repose sur ce que les témoins déclarent avoir entendu dire » (A. Chamoulaud-Trapiers, précitée, n° 177).
Avec la possibilité de demander la conversion de l’usufruit en rente viagère (C. civ. art. 759 s.), les mesures conservatoires de la nue-propriété prévues par l’article 1094-3 du Code civil (inventaire des meubles, état des immeubles, emploi des sommes, conversion des titres au porteur en titres nominatifs ou leur dépôt chez un dépositaire agréé) constituent une protection générale bénéficiant à tous les enfants contre les libéralités en usufruit consenties au conjoint survivant.
Emmanuel de LOTH
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Successions nos 9220 et 29015