La Quotidienne. Le projet de loi Pacte prévoit de repenser la place des entreprises dans la société. L’article 61 du projet envisageait d’inscrire dans le Code civil la gestion de la société « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité », ainsi que la définition de sa raison d’être « constituée des principes dont [elle] se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. ». Cet article vient d’être supprimé par le Sénat en première lecture (amendement n° 653). Quelle est la position des dirigeants face au rôle social attendu des entreprises ? Qu’entend-on par « entreprise inclusive » ?
Jean-Christophe Brochet. Le 18 décembre dernier, dans une tribune d’un grand quotidien français (NDRL : Le Monde), 13 PDG de grandes entreprises se sont engagés en faveur d’une économie plus inclusive. Cette position traduit une prise de conscience progressive : l’entreprise doit mettre en place les leviers d’une croissance plus soutenable, plus inclusive et plus positive.
La notion d’entreprise inclusive est un terme pour décrire l’entreprise du XXe siècle : une entreprise au cœur de la cité, qui allie performance économique, sociale et environnementale.
Elle exprime également une aspiration à changer de modèle pour aller vers un modèle plus égalitaire, qui tend à réconcilier la création de valeur et l’impact social positif. Ceci implique de passer par une transformation juste des entreprises, de leur ancrage sur le territoire, via de nouvelles formes de contrat avec les pouvoirs publics, et de s’inscrire dans une réflexion sur la redistribution entre les différents acteurs.
Comme a pu le souligner Thierry Calvat (sociologue et auteur du livre Le droit à la vulnérabilité, éd. Michalon, 2011) au cours de ce colloque, la fragilité a sa place dans le monde du travail, qui a longtemps nié les vulnérabilités dont souffrent les collaborateurs ou leurs familles.
La Quotidienne. Fort heureusement les entreprises n’ont pas attendu une disposition législative pour agir et le succès de ce colloque, organisé parl’ANDRH Ile-de-France, en témoigne. Quel est l’état des lieux des pratiques ?
Jean-Christophe Brochet. En effet, nous avons fait salle comble !
Nous sommes à un tournant historique qui nous pousse à rechercher des solutions concrètes pour passer de la prise de conscience à la déclaration d’intention et à l’action.
Au cours de cette soirée, à titre d’exemple, Marie Babel (bénévole aux Restos du cœur) a milité pour plus d’engagement civique en interpellant les entreprises à innover pour inciter les salariés à donner de leur temps à des associations. Le philosophe Ali Benmakhlouf (professeur à l'UPEC) s’est fait l’avocat d’une croissance inclusive qui passe par la définition d’un nouveau rôle pour l’Etat et les entreprises. David Mahé (président de Stimulus) nous a invité à repenser les pratiques de management et Maria-Giuseppina Bruna (professeure de management et directrice de la chaire Entreprise inclusive à l'IPAG Business School) a précisé que le management post-moderne appelle les entreprises à s’affranchir d’un management de défiance. Ceci demande d’adopter un management éthique, équitable et coopératif. Les démarches de diversité-mixité-inclusion sont perçues comme des leviers de changement et constituent des vecteurs de croissance.
Après avoir évoqué les leviers de cette prise de conscience, de nombreux intervenants représentants de l’Etat, des mondes universitaire et associatif et de l’entreprise sont venus apporter leurs convictions sur ce nouveau paradigme et ont fait part des pratiques déjà réalisées au sein des entreprises.
Ainsi, Jean-Philippe Vinquant (directeur général de la cohésion sociale, délégué interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes) a mis en avant la responsabilité de l’Etat en tant qu’employeur vis-à-vis des agents mais aussi sa responsabilité à l’égard des usagers. Il a illustré son propos en prenant l’exemple d’une démarche de co-construction de solution avec des usagers. Catherine Tripon (porte-parole de l'Autre Cercle) a fait part d’avancées significatives sur la reconnaissance des droits des personnes LGBT au sein des entreprises, même s'il subsiste encore des freins socio-culturels. Muriel Barneoud (directrice de l’engagement sociétal du groupe La Poste) et Jean-François Connan (directeur de l’innovation et de la responsabilité sociale du groupe Adecco) ont démontré qu’une entreprise peut être inclusive en repensant son action dans la société et au sein de son écosystème.
De nombreux témoignages en provenance des réseaux FACE et Social Builder sont venus alimenter le retour d'expérience de publics ayant bénéficié d'une démarche inclusive dans l’entreprise.
La Quotidienne. Quel message transmettre aux entreprises qui ne sont pas encore passées à l’action ?
Jean-Christophe Brochet. Nous pouvons retenir deux points essentiels. D’une part, le développement sans inclusion ne génère pas de performance durable. D’autre part, l’inclusion est facteur de progrès pour tous. C'est vrai en économie comme dans l’entreprise.
Si l’entreprise inclusive ressemble souvent à une injonction, nous pouvons dire que ce n’est que l’un des objectifs de la RSE, et que cette dernière engage l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise (le management, les actionnaires, les salariés, les ouvriers spécialisés). A la fonction RH de démontrer au quotidien la place de l’inclusion dans la RSE.
Propos recueillis par Audrey TABUTEAU
Jean-Christophe Brochet, DRH, Global Business Support, Business Support IT, ENGIE IT