Un fabricant vend depuis de nombreuses années à une entreprise des pièces de haute technologie. Pour le second semestre 2018, l’entreprise passe commande pour un montant de 13 877 €, puis en 2019 pour un montant de 21 725 € et, en 2020, pour un montant de 10 425 €. Le fabricant soutient qu’il a subi une baisse considérable des commandes à compter du 1er juillet 2018 et demande réparation de son préjudice pour rupture brutale partielle de relations commerciales établies.
La cour d’appel de Paris considère que l’entreprise a drastiquement réduit ses commandes à compter du 1er juillet 2018 sans respecter le préavis de six mois qu’elle aurait dû accorder au fabricant. Elle la condamne à verser à ce dernier la somme de 52 464 €, correspondant à la différence entre la marge non réalisée pendant la durée du préavis non respecté (91 566 €) et la somme des marges réalisées sur les commandes effectuées du second semestre 2018 à 2020 (39 102 €).
Cette décision est censurée par la Haute Juridiction : en cas de rupture partielle d’une relation commerciale établie, le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture s’évalue en considération de la diminution de la marge brute escomptée pendant la seule durée du préavis.
Au cas particulier, comme l’avait retenu la cour d’appel, le taux de marge sur coûts variables réalisé par le fabricant étant de 85 % et la marge moyenne mensuelle de 15 260 €, la perte de marge sur la durée du préavis non respecté était bien de 91 566 € (15 260 € x 6 mois). Toutefois, la rupture ayant été partielle, il convenait de déduire de cette somme les marges réalisées au second trimestre 2018, correspondant au préavis non respecté de six mois. Le chiffre d’affaires réalisé par le fabricant au cours de cette période étant de 13 877 €, la marge réalisée durant cette même période était de 11 796 € (13 877 x 85 %). L’entreprise devait donc verser au fabricant une indemnité de 79 770 € (91 566 € - 11 796 €).
A noter :
Aux termes de l’article L 442 6, I-5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 24 avril 2019, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait « de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels » (dispositions reprises par l’article L 442-1, II du même Code, dans une autre rédaction).
La rupture partielle de la relation peut résulter d’une baisse des commandes de la part du partenaire économique (par exemple, Cass. com. 23-1-2007 n° 04-17.951 F-PB : RJDA 5/07 n° 562). Il faut toutefois que cette baisse soit imputable à un choix volontaire de son auteur. Tel n’est pas le cas si la baisse des commandes résulte d’éléments extérieurs, tels que la crise économique du secteur en cause (Cass. com. 8-11-2017 n° 16-15.285 F-PBI : RJDA 2/18 n° 189). Par ailleurs, seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même (par exemple, Cass. com. 10-2-2015 n° 13-26.414 F-PB : RJDA 5/15 n° 392).
Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture correspond à la « marge brute escomptée durant la période de préavis qui n'a pas été exécutée » (par exemple, Cass. com. 24-6-2014 n° 12-27.908 F-D), c’est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (Cass. com. 28-6-2023 n° 21-16.940 FS-B : RJDA 10/23 n° 549).
Qu’en est-il en cas de rupture partielle de la relation ? Dans cette affaire, la cour d’appel avait, de manière classique, évalué la perte totale de marge brute correspondant aux six mois de préavis non exécutés, à partir de la marge mensuelle moyenne réalisée au cours des trois derniers exercices. Toutefois, elle avait ensuite déduit de cette somme les marges réalisées par la victime de la rupture sur l’ensemble des commandes postérieures au 1er juillet 2018, c’est-à-dire non seulement celles réalisées au second semestre 2018, mais également celles réalisées en 2019 et en 2020. C’est sur cette déduction que sa décision est censurée, pour atteinte au principe de la réparation intégrale.