En cas de grand licenciement collectif pour motif économique, le fait d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) homologué ou validé par l’administration dispense-t-il l’employeur de son obligation préalable de reclassement ? En répondant par la négative, la Cour de cassation confirme une jurisprudence bien établie, en l’appliquant pour la première fois à notre connaissance à un PSE établi postérieurement à la loi de sécurisation de l’emploi de 2013.
La double obligation de reclassement qui pèse sur l’employeur en cas de PSE
Lorsque le licenciement économique concerne au moins 10 salariés sur une période de 30 jours dans une entreprise d'au moins 50 salariés, le PSE doit intégrer un plan de reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait pas être évité (C. trav. art. L 1233-61). Cette obligation de reclassement s'exerce de manière collective et anonyme.
Elle se distingue de l’obligation « individuelle » de reclassement, qui s'applique préalablement à tout licenciement économique, quels que soient le nombre de salariés dont le licenciement est envisagé et la taille de l'entreprise. Le licenciement ne peut en effet intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement du salarié ne peut pas être opéré sur les emplois disponibles dans l'entreprise ou, le cas échéant, dans les autres entreprises du groupe (C. trav. art. L 1233-4).
Ces deux obligations sont complémentaires, même si elles présentent de nombreux points communs, tenant notamment au périmètre de l’emploi de reclassement et à la précision des offres. Elles ne sont donc pas exclusives l’une de l’autre, au contraire : elles s’additionnent.
C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans son arrêt du 15 mai 2024, qui sera publié au bulletin de ses chambres civiles. Même lorsque l’employeur a élaboré un plan de sauvegarde de l’emploi homologué ou validé par l’administration, il doit rechercher s’il existe des possibilités de reclassement individuel des salariés : à défaut, le licenciement pourra être jugé sans cause réelle et sérieuse (voir notamment Cass. soc. 26-3-2002 n° 00-40.898 FS-P ; Cass. soc. 14-12-2005 n° 03-47.961 F-D).
Cette jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est constante, mais c’est la première fois, à notre connaissance, qu’elle est appliquée depuis l’entrée en vigueur de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 dite « de sécurisation de l’emploi », qui a réformé le droit des PSE et qui en a confié le contrôle à l’administration.
A noter :
Le Conseil d’État, saisi d’un recours contre un PSE homologué par l’administration, a récemment retenu le même principe. Il a jugé qu’il n’appartient pas au Dreets de contrôler le respect par l’employeur de son obligation consistant à procéder, préalablement au licenciement, à une recherche sérieuse des postes disponibles pour le reclassement « individuel », qu'ils soient ou non prévus au PSE. Et il a ajouté que, même lorsque le PSE comporte des garanties en matière de reclassement « individuel » des salariés, l’employeur n’est pas dispensé de respecter son obligation de recherche de reclassement individuel (CE 20-6-2022 n° 437767).
Comment prouver le respect de son obligation de reclassement individuel ?
La charge de la preuve du reclassement pèse sur l’employeur…
La Cour de cassation a jugé que, lorsque l’existence ou le périmètre du groupe de reclassement est contesté par un salarié, le juge forme sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties (Cass. soc. 16-11-2016 nos14-30.063 FS-PBRI et 15-19.927 FS-PBRI). L’employeur en avait déduit, en l’espèce, un régime de « preuve partagée » en matière de reclassement. Par conséquent, la cour d’appel ne pouvait pas, selon lui, juger que les licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse en se fondant uniquement sur les éléments de preuve qu’il avait apportés pour justifier que le périmètre de reclassement devait être limité aux postes proposés aux salariés.
Mais c’était mal comprendre cette règle, qui a depuis été rappelée et précisée par la Cour de cassation (Cass. soc. 31-3-2021 n° 19-17.300 FS-P).
La preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement pèse exclusivement sur l'employeur (voir notamment Cass. soc. 17-6-2009 n° 07-44.429 F-D ; Cass. soc. 5-7-2011 n° 10-14.625 F-D). C'est donc d'abord à l'employeur de communiquer des éléments permettant de dire que le périmètre de reclassement qu'il a retenu est exact, parce que c'est sur lui que pèse l'obligation de reclassement. Ce n'est que dans la mesure où une discussion s'instaure sur le périmètre retenu que le juge doit alors déterminer quel était le périmètre pertinent, en considération des éléments qui lui sont soumis.
En l’espèce, la cour d’appel n’a donc pas méconnu les règles relatives à la charge de la preuve, contrairement à ce qui lui était reproché.
… qui peut soumettre au juge plusieurs éléments
La Cour de cassation, en s’appuyant sur les constats des juges du fond, approuve leur décision de juger les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse, en raison du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement préalable au licenciement.
En l’espèce, l’employeur n’apporte en effet aucun élément permettant au juge de vérifier la pertinence du groupe de reclassement qui a été retenu.
Par ailleurs, s’agissant de ses recherches de reclassement individuel, l’employeur s’est en fait borné à communiquer aux salariés une proposition individualisée sur une liste de postes disponibles recensés dans le PSE. En d’autres termes, il s’est contenté de respecter son obligation « collective » de reclassement, sans pouvoir justifier de démarches de reclassement « individuel ».
A noter :
Pour prouver le respect de son obligation de reclassement préalable, l’employeur doit produire devant le juge des éléments concrets : c’est ce que souligne cette décision de la Cour de cassation. Il doit justifier à la fois de ses démarches (par exemple, en produisant les lettres adressées aux sociétés du groupe auquel il appartient, ainsi que leurs réponses, Cass. soc. 14-1-2009 n° 07-42.056 F-D, ou, comme l’ont souligné ici les juges, un organigramme du groupe), du périmètre de sa recherche s'il appartient à un groupe (Cass. soc. 31-3-2021 n° 19-17.300 précité) et de l'absence de postes disponibles et de recrutement extérieur au moment du licenciement, en produisant le registre des entrées et des sorties du personnel (Cass. soc. 18-10-2023 n° 21-24.014 F-D).
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