Une société charge un expert-comptable de tenir sa comptabilité, de fournir une aide à l’établissement des comptes annuels et des documents sociaux et fiscaux de fin d’exercice.
1° Ayant fait l’objet d’un redressement fiscal, la société fait désigner un expert judiciaire, qui relève des anomalies comptables affectant notamment certains postes clients et corrige l’actif net à la baisse à hauteur de 100 000 €. La société agit alors en responsabilité contre l’expert-comptable, lui reprochant notamment d’avoir manqué à son devoir de conseil en ne l'alertant pas sur les impayés des clients.
Sa demande est rejetée par la Cour de cassation : le devoir de conseil de l’expert-comptable n’implique pas d’alerter les dirigeants de l’importance de l’encours client, des relances nécessaires et des retards de paiement lorsqu’il n’a pour mission que la tenue de la comptabilité et une aide à l’établissement des comptes annuels et des documents fiscaux et sociaux de fin d’exercice.
A noter :
Tout expert-comptable est tenu vis-à-vis de son client d’une obligation générale d’information et de conseil (Décret 2012-432 du 30-3-2012 art. 155). Mais les contours de cette obligation varient selon la nature de la mission qui lui est confiée.
Lorsqu’il est chargé de la rédaction d’un acte, par exemple une cession de droits sociaux, l’expert-comptable a l’obligation d’informer et d’éclairer de manière complète les parties sur les effets et les risques de l’acte qu’il établit ainsi que sur la portée de l’opération projetée, notamment sur ses incidences fiscales (Cass. 1e civ. 9-11-2004 n° 02-12.415 F-PB : RJDA 8-9/05 n° 929 ; Cass. com. 4-12-2012 n° 11-27.454 F-PB : RJDA 3/13 n° 189). L’expert qui a reçu la mission d'établir les bulletins de paie et les déclarations sociales pour le compte de son client a, compte tenu des informations qu'il doit recueillir sur le contrat de travail pour établir ces documents, une obligation de conseil afférente à la conformité de ce contrat aux dispositions légales et réglementaires (Cass. com. 17-3-2009 n° 07-20.667 FS-PB : Bull. civ. IV n° 40).
En l’espèce, la mission de l’expert était cantonnée à la tenue de la comptabilité sociale et à l’assistance à la présentation des comptes annuels. C’est la première fois que la Cour de cassation juge que le devoir de conseil attaché à cette mission n’inclut pas d'alerter les dirigeants sur la situation des impayés clients et la nécessité de relances. Rien n’interdit en revanche aux parties de confier expressément ces tâches à l’expert-comptable dans la lettre de mission.
2° La société reproche aussi à l’expert-comptable d’avoir commis des erreurs dans la tenue de la comptabilité, en omettant notamment de passer en perte des créances non recouvrables et d’inscrire en compte les conséquences financières du redressement fiscal, et elle demande à être indemnisée à hauteur de ces sommes.
Cette demande est aussi rejetée, car le lien de causalité entre les fautes reprochées et le préjudice allégué par la société n’était pas établi. Le non-recouvrement des créances n’était pas dû aux anomalies comptables, mais à l’ouverture de procédures collectives à l’encontre des débiteurs ou à l’inexistence même des créances. De même, le traitement comptable erroné du redressement fiscal n’était pas la cause des sommes réclamées par l’administration, et la société n’invoquait aucune faute de l’expert-comptable ayant pu contribuer à ce redressement fiscal. Par ailleurs, si l’expert-comptable avait par erreur enregistré une facture sous le nom d’un autre client et présenté une facture impayée comme réglée, le lien de causalité entre ces fautes et l’irrecouvrabilité de ces créances n’était pas non plus établi ; en effet, pour assurer le suivi du règlement des factures, les dirigeants de la société ne se référaient pas à la comptabilité, mais à un tableau établi en interne par un salarié de la société.
A noter :
La preuve de la réalité d’une faute commise par un expert-comptable ne suffit pas à engager sa responsabilité ; encore faut-il, selon les règles de droit commun de la responsabilité civile, qu’il existe un lien de causalité entre le dommage subi et la faute.
Par exemple, il a été jugé que la cause exclusive du préjudice d’une société victime de détournements financiers ne résidait pas dans les fautes que la société reprochait à son expert-comptable et à son commissaire aux comptes dans l’exécution de leur mission mais dans sa propre faute de ne pas avoir mis en place les mesures de contrôle que ces derniers lui recommandaient (Cass. com. 3-3-2009 n° 07-18.614 F-D : RJDA 5/09 n° 448). De même, n’engage pas sa responsabilité l’expert-comptable d’une société qui a, à tort, inscrit au crédit du compte courant de l’associé gérant une somme qui aurait dû être portée dans les comptes sociaux, car le redressement fiscal subi ensuite par cet associé au titre de ce compte courant résultait de son seul choix de ne pas déclarer cette somme (Cass. com. 15-6-2022 n° 19-17.196 F-D : RJDA 11/22 n° 642). L'arrêt commenté en fournit une nouvelle illustration.
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