Une aide à domicile instituée légataire à titre particulier par son défunt employeur voit son titre contesté au motif qu’elle est frappée d’une incapacité de recevoir à titre gratuit (CASF art. L 116-4). Les cousins de la personne décédée, légataires universels conjoints aux termes du même testament, l’assignent en nullité du legs.
Au cours de cette procédure, l’employée de maison pose une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, méconnaît-il les droits et libertés garantis par les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 ? Selon elle, cette disposition porte atteinte au droit de disposer librement de son patrimoine en ce qu’elle est formulée de façon générale, sans tenir compte de la capacité juridique des personnes âgées ou de l’existence ou non d’une vulnérabilité particulière. La Cour de cassation renvoie cette QPC devant le Conseil constitutionnel (Cass. 1e civ. QPC 18-12-2020 n° 20-40.060 FS-P) : le texte incriminé n’a jamais été déclaré conforme à la Constitution. Par ailleurs, la question présente un caractère sérieux comme ayant pour conséquence de réduire le droit de disposer librement de ses biens, hors tout constat d’inaptitude du disposant.
Préalablement à sa décision sur le fond de l’affaire, le Conseil constitutionnel affine le champ d’application de la QPC en limitant son objet aux mots qui ont trait à l’incapacité de recevoir à titre gratuit des personnes qui, de manière directe (C. trav. art. L 7221-1) ou indirecte (par l’intermédiaire d’organismes de services à la personne : responsables, employés ou bénévoles), portent « assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité dans l’environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile » (C. trav. art. L 7231-1, 2°).
Sur le fond, censure nette du Conseil constitutionnel : l’interdiction générale de recevoir porte une atteinte disproportionnée à l’objectif de protection recherché. La déclaration de non-conformité totale du dispositif est prononcée à la suite d’une démonstration en deux temps des Sages de la rue de Montpensier. En premier lieu, l’altération de la capacité à disposer ne peut se déduire du seul fait que les personnes sont âgées, handicapées ou dans une situation nécessitant une assistance pour favoriser leur maintien à domicile. Par ailleurs, l’accomplissement de ces divers services au domicile des personnes pour assurer leur maintien à domicile ne saurait suffire à caractériser une situation de vulnérabilité des personnes assistées à l’égard de celles qui leur apportent assistance. En second lieu, même dans le cas où l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du disposant pourrait être démontrée, l’interdiction s’applique.
La déclaration d’inconstitutionnalité du texte a pris effet au 13 mars 2021 et s’applique à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
À noter : Faisons un bref rappel historique. Le législateur en 2015 a mis en place cette nouvelle incapacité de recevoir à titre gratuit à l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, entrée en vigueur le 30 décembre 2015, s’accompagnant de l’abrogation des articles L 331-4 et L 443-6 du même Code (Loi 2015-1776 du 28-12-2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement). Pour mémoire, les dispositifs abrogés visaient :
- le premier, à protéger les personnes hébergées dans des établissements sociaux ou médico-sociaux en interdisant les libéralités faites par ces dernières aux profit notamment des propriétaires, administrateurs ou employés de ces établissements, et des bénévoles intervenant en leur sein (CASF art. L 331-4 ancien) ;
- le second, à opposer aux accueillants familiaux à titre onéreux et leurs proches une incapacité de recevoir à titre gratuit des personnes accueillies (CASF art. L 443-6 ancien).
À ce(s) texte(s) s’ajoutait, et s’ajoute toujours, une protection distincte, prévue à l’article 909 du Code civil, qui concerne les professionnels de santé notamment.
Le nouvel article L 116-4 du CASF procédait ainsi à une réunion de ces dispositifs, à leur réécriture, et ajoutait une interdiction visant les aides à domicile dans le but d’harmoniser les solutions applicables, que l’aidant héberge la personne à protéger (CASF art. L 331-4 ancien et art. L 116-4) ou intervienne à son domicile (CASF art. L 116-4). En effet, la Haute Juridiction, à défaut de texte spécial (faisant ainsi une application stricte de l’article 909 du Code civil) refusait, sur le fondement de la liberté de disposer de son patrimoine (C. civ. art. 902), d’annuler les dispositions de dernières volontés prises en faveur d’aides à domicile comme interdites de recevoir à titre gratuit (Cass. 1e civ. 25-9-2013 n° 12-25.160 FS-PBI : Sol. Not. 11/13 inf. 268, Defrénois 15-7-2014 n° 116u9 p. 764 note B. Vareille).
Précision faite que ce texte dans sa version issue de la loi du 28 décembre 2015 a été complété d’un deuxièmement doublant l’incapacité de recevoir à titre gratuit d’une incapacité spéciale d’acquérir (Ord. 2016-131 du 10-2-2016 art. 6).
À peine plus de 5 ans après l’entrée en vigueur de ce texte, le voilà partiellement biffé par le Conseil constitutionnel. Coup de massue ? Pas vraiment si l’on s’en réfère à un avis de Mme Catherine Di Folco, sénatrice, fait au nom de la commission des lois lors de la discussion du projet de loi par le Parlement (Avis n° 306 (2014-2015) enregistré à la Présidence du Sénat le 3-3-2015). Le diagnostic était déjà posé : « Si l'intention des auteurs est profondément louable, puisqu'elle vise à protéger les personnes âgées contre les captations de biens et les abus de faiblesse qui interviendraient lors de leur maintien à domicile, ces dispositions sont gravement attentatoires à la liberté des personnes de disposer de leurs biens ». Il eût été plus sage de suivre la voie proposée par Jean Hauser : « La piste à suivre nous paraît plus judiciaire que législative en facilitant la preuve de l'insanité d'esprit et (peut-être ?) l'exercice de l'action en nullité. » (à propos de Cass. 1e civ. 25-9-2013 n° 12-25.160 FS-PBI précité et Cass. 1e civ. 27-11-2013 n° 12-16.973 FS-PB : RTD civ. 2014 p. 86).
Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Successions Libéralités n° 955
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