Aux termes de l’article 12 du décret n° 2019-650 du 27 juin 2019 :
« L'article 55 (de la loi de 1965) est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, est inséré un alinéa ainsi rédigé :
Seuls les copropriétaires peuvent se prévaloir de l'absence d'autorisation du syndic à agir en justice. »
Il convient de rappeler les dispositions antérieures applicables (1) avant d’évoquer les nouvelles dispositions et les questions qu’elles posent (2).
1. Rappel des dispositions antérieures applicables
Afin de saisir toute la portée de ce nouvel article 12 entré en vigueur le 29 juin 2019, il faut se référer à l’article 55 du décret n˚ 67-223 du 17 mars 1967 pris en application de la loi du 10 juillet 1965 relative au statut de la copropriété des immeubles bâtis, anciennement rédigé comme suit :
« Le Syndic ne peut intenter une action en Justice au nom du Syndicat sans y avoir été autorisé par une décision de l’Assemblée Générale, sauf lorsqu’il s’agit d’une action en recouvrement de créance même par voie d’exécution forcée, d’une procédure engagée conformément à l’article 54 du décret du 30 mars 1808, et en cas d’urgence, notamment d’une procédure engagée conformément aux articles 806 et suivants du Code de Procédure Civile. Dans tous les cas, le Syndic doit rendre compte des actions qu’il a introduites, à la prochaine Assemblée Générale ».
Selon ces dispositions, tout syndic de copropriété ne peut initier une action judiciaire sans y avoir été dûment habilité par une décision de l’assemblée générale des copropriétaires.
Cette nécessaire habilitation remplit ainsi une double fonction : d’une part, protéger le syndicat des copropriétaires en assurant sa parfaite information quant aux velléités procédurales de son syndic de copropriété, et d’autre part, donner pouvoir au syndic de copropriété d’agir en justice au nom et pour le compte du syndicat des copropriétaires dans un contentieux en particulier.
A réception d’une assignation au fond initiée devant le Tribunal par un syndicat de copropriétaires, l’avocat missionné par l’une des parties défenderesses à l’assignation, constructeurs et assureurs, avait ainsi pour réflexe immédiat de vérifier si, parmi les pièces jointes à l’assignation, figurait le procès-verbal d’assemblée générale des copropriétaires habilitant le syndic de copropriété à ester en justice au nom et pour son compte dans le cadre de la procédure judiciaire diligentée.
L’absence d’habilitation du syndic à ester en justice avait pour conséquence la nullité de l’assignation délivrée au nom et pour le compte du syndicat des copropriétaires, sur le fondement combiné de l’article 55 susvisé et de l’article 117 du Code de procédure civile qui sanctionne le défaut de pouvoir par la nullité de l’assignation.
De surcroît, s’agissant d’un mandat spécial, l’habilitation donnée par le syndicat des copropriétaires devait être nominative et suffisamment précise, sauf à faire encourir aussi à l’assignation un risque de nullité.
C’est ainsi que l’autorisation d’agir en justice donnée au syndic par décisions des assemblées générales doit être précise et qu’elle ne concerne que les seuls désordres visés dans ces décisions (Cass. Civ. 3ème – 22 mai 1997, RG n° 95-12.682, Cass. Civ. 3ème – 7 décembre 2005, RG n° 04-16.153), de sorte que doit être cassé l’arrêt d’appel ayant déclaré recevable l’action du syndicat des copropriétaires alors que le mandat donné au syndic « d’entamer une procédure judiciaire pour les parties communes » ne contenait aucune limitation expresse et ne précisait pas les désordres pour la réparation desquels cette habilitation avait été donnée (Cass. Civ. 3ème – 11 janvier 1995, RG n° 92-21.668 et 93.10-561).
En outre et conformément à la jurisprudence classique en la matière, en présence d’un procès-verbal d’assemblée générale : d’une part, imprécis car visant « l’ensemble des désordres recensés pour les parties communes générales et spéciales : réserves de livraison, réserves 1 mois, réserves au titre de la GPA (garantie du parfait achèvement) aux fins d’obtenir la levée des réserves émises lors de la livraison et pendant l’année de parfait achèvement, des parties communes (liste non exhaustive) », et d’autre part, incomplet, les désordres allégués dans l’assignation ayant aussi pour objet les parties privatives de l’immeuble, le juge de la mise en état a considéré qu’il « apparaît dans ces termes impossible de délimiter avec précision le mandat donné au syndic. Les réserves objet de la procédure ne sont pas circonscrites, les griefs dont il est question ne sont pas listés, les parties contre lesquelles le syndic a mandat d’agir en justice ne sont pas identifiées ni même identifiables ».
Et le juge de poursuivre :
« Il a ainsi été donné mandat au syndic d’ester en justice au nom du syndicat des copropriétaires sans que les copropriétaires soient éclairés sur l’étendue de l’action prévue, sur les désordres concernés, sur les parties appelées en défense.
Une telle habilitation est très irrégulière au regard des termes de l’article 55 du décret de 1967, lequel requiert la précision du mandat ».
En conséquence, l’assignation a été dite nulle et de nul effet (Ordonnance du juge de la mise en état de la 7ème Chambre civile du Tribunal de grande instance de Nanterre du 19 octobre 2017, RG n° 16/10666).
Ce faisant, le juge a motivé sa décision, plus en raison d’un défaut d’éclairage suffisant des copropriétaires sur l’étendue de l’action initiée, qu’au regard d’un grief occasionné au maître d’ouvrage qui avait soulevé l’argument de la nullité.
Or, l’assignation d’origine ayant été délivrée, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, juste avant l’expiration du délai d’un an attaché à cette garantie, ledit délai n’avait pas été valablement interrompu par la délivrance de l’assignation en raison de sa nullité.
Autrement dit, le syndicat des copropriétaires n’a pu ensuite initier une nouvelle action sur le même fondement de la garantie de parfait achèvement, son action étant forclose.
Il s’est donc retrouvé privé d’une garantie, sur le fondement d’un texte dont l’objet initial était pourtant de le protéger.
La Cour de cassation, dans le chapitre intitulé « Propositions de réforme en matière civile » de son rapport annuel 2017 (cf. pages 33 et 34), soulignait : « Ces dispositions ont été inspirées par la nécessité de s’assurer que les copropriétaires ont eu connaissance de l’action et ont consenti à ce qu’elle soit exercée. Et, de ce fait, c’est bien le syndicat qui est titulaire de l’action et c’est lui qui supporte les conséquences de son issue ».
Puis, la Cour de cassation ajoutait : « L’expérience montre, notamment en matière de litiges de construction, que la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’autorisation du syndic n’est soulevée que par les constructeurs ou leurs assureurs défendeurs à l’action.
Dans ces conditions, la disposition qui était destinée à protéger le syndicat contre les initiatives du syndic est devenu un moyen mis à la disposition de tiers à la copropriété et leur permettant de différer l’issue du procès, voire même, dans certains cas, de bénéficier de la prescription de l’action puisque l’autorisation doit être donnée avant l’expiration du délai pour agir ».
L’affaire susvisée, ayant donné lieu à l’ordonnance du 19 octobre 2017, en est l’illustration.
La Cour de cassation conclut en préconisant, comme dans ses rapports de 2015 et 2016, que « seuls les copropriétaires puissent se prévaloir de l’absence d’habilitation du syndic pour ester en justice ».
C’est à ce dévoiement que l’article 12 du décret n° 2019-650 du 27 juin 2019 a pour objet de mettre fin, donnant suite aux préconisations de la Cour de cassation.
2. Les nouvelles dispositions et les questions qu’elles posent
L’article 12 du décret n° 2019-650 du 27 juin 2019 insère, notamment, un alinéa 2 dans l’article 55 du décret n˚ 67-223 du 17 mars 1967 pris en application de la loi du 10 juillet 1965, rédigé comme suit : « Seuls les copropriétaires peuvent se prévaloir de l'absence d'autorisation du syndic à agir en justice. »
Ainsi, sur le fondement de ce texte, les constructeurs et assureurs défendeurs à l’instance initiée par le syndicat des copropriétaires ne peuvent, en principe, plus se prévaloir de l'absence d'habilitation du syndic à agir en justice.
Mais, en présence d’un procès-verbal donnant habilitation au syndic d’ester en justice imprécis ou incomplet, la question est de savoir si ces mêmes défendeurs pourront toujours faire état de la jurisprudence susvisée pour contester la validité de l’assignation.
Si l’on s’en tient au sens littéral de la réforme qui ne vise que l’hypothèse de l’absence d’autorisation, ce qui semble recouvrir le cas de l’absence totale d’autorisation, comme étant réservée au syndicat des copropriétaires, ils pourront toujours se prévaloir du caractère incomplet ou imprécis de l’autorisation donnée au syndic d’ester en justice.
Dans un tel cas, il y aurait bien une autorisation formelle, mais incomplète ou imprécise.
De plus et par ailleurs, la réforme, telle que préconisée par la Cour de cassation, est motivée par la volonté d’assurer l’effectivité de l’une des fonctions de l’habilitation, à savoir la parfaite information du syndicat des copropriétaires quant aux initiatives procédurales de son syndic de copropriété, sans que cette obligation d’habilitation puisse être dévoyée au détriment du syndicat des copropriétaires.
Cependant, elle omet totalement la seconde fonction attribuée à l’habilitation et à sa nécessaire communication dans l’instance judiciaire ainsi qu’aux conséquences qui leur sont attachées : rapporter la preuve du pouvoir du syndic de copropriété figurant au procès comme représentant du syndicat des copropriétaires, étant rappelé que toute assignation délivrée en l’absence d’un tel pouvoir entraîne sa nullité sur le fondement de l’article 117 du Code de procédure civile.
Comment vérifier que le délai de prescription ou de forclusion a été valablement interrompu par la délivrance d’une assignation valide à la requête d’une partie disposant du pouvoir pour agir, si le procès-verbal donnant pouvoir au syndic d’ester en justice au nom du syndicat des copropriétaires demandeur à la procédure n’est pas communiqué et si seuls les copropriétaires peuvent s’en prévaloir ?
Sans communication de l’habilitation donnée au syndic par le syndicat des copropriétaires, la recevabilité de l’action judiciaire, au regard des délais de prescription et de forclusion, ne peut être vérifiée, ce qui est de nature à occasionner un important grief aux parties défenderesses.
En ce sens et assurément, le procès-verbal d’assemblée générale des copropriétaires habilitant le syndic de copropriété à ester en justice au nom et pour le compte du syndicat des copropriétaires devra toujours être produit, et son absence sera nécessairement exploitée par les constructeurs et assureurs défendeurs à l’instance nonobstant la lettre de l’alinéa 2 introduit dans l’article 55 susvisé, sauf à les priver de la possibilité de vérifier que l’action a été valablement introduite à leur encontre dans les délais légaux et contractuels applicables.
Le contentieux de la construction lié à l’application de ce nouvel article 55, et plus généralement au pouvoir du syndic d’ester en justice au nom et pour le compte du syndicat des copropriétaires, n’a sans aucun doute pas fini de faire couler de l’encre !
Par Djinn QUEVREUX-ROBINE, Avocat counsel au sein du cabinet Martin&associés