Le préfet des Alpes-Maritimes déclare d’utilité publique le projet de réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC). Par arrêté préfectoral du 22 septembre 2022, plusieurs parcelles sont déclarées cessibles. Par ordonnance du 24 novembre 2022, le juge de l’expropriation ordonne le transfert de propriété des parcelles au profit de l’établissement public foncier Provence-Alpes-Côte d’Azur (EPF PACA).
Une société qui loue plusieurs des parcelles expropriées dans le cadre d’un bail à construction :
dépose par requête enregistrée le 15 mars 2023 un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Nice contre l’arrêté de cessibilité ;
et forme le 2 octobre 2023 un pourvoi devant la Cour de cassation contre l’ordonnance d’expropriation. Elle fait grief à cette ordonnance de déclarer exproprier les parcelles et d’envoyer l’EPF PACA en possession alors que l’annulation de l’arrêté de cessibilité « qui sera prononcée par le juge entraînera l’annulation, par voie de conséquence de l’ordonnance d’expropriation pour défaut de base légale ».
Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation. Les Hauts Magistrats jugent que « l’annulation à intervenir de la déclaration d’utilité publique (DUP) ou de l’arrêté de cessibilité ne donne pas lieu à ouverture à cassation de l’ordonnance d’expropriation pour perte de fondement légal ». Cette nouvelle règle de procédure, qui ne prive pas l’exproprié de son droit d’accès au juge, est d’application immédiate, sauf notification, avant le présent arrêt, d’une décision définitive d’annulation prononcée par la juridiction administrative.
A noter :
Revirement de jurisprudence.
L'ordonnance d'expropriation ne peut être attaquée que par pourvoi en cassation et pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme (C. expr. art. L 223-1). Sans préjudice de l'article L 223-1, en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation. Après avoir constaté l'absence de base légale de l'ordonnance portant transfert de propriété, le juge statue sur les conséquences de son annulation. (C. expr. art. L 223-2).
Jusqu’à présent, la Cour de cassation jugeait que la faculté de faire constater la perte de base légale de l'ordonnance prévue par le Code de l’expropriation « ne faisait pas obstacle, pour l’exproprié, à la possibilité de former un pourvoi en cassation avant le prononcé de l'annulation » par la juridiction administrative « pour demander la cassation par voie de conséquence de l'annulation à intervenir » (Cass. 3e civ. 17-12-2008 n° 07-17.739 : Bull. civ. III n° 208 ; Cass. 3e civ. 11-5-2010 n° 09-14.801 : BPIM 5/10 inf. 362 ; Cass. 3e civ. 11-7-2024 n° 23-11.763). Dans ce cas, la Cour de cassation prononçait un sursis à statuer et radiait l'affaire. Il appartenait à la partie la plus diligente de demander le rétablissement au rôle de l’affaire lorsqu’une décision irrévocable sur le recours administratif engagé contre la DUP ou l'arrêté de cessibilité était intervenue. Elle devait le faire dans un délai de 2 ans à compter de la décision définitive sous peine de péremption d’instance (Cass. 3e civ. 17-10-1996 n° 88-70.033 : AJPI 1997 p. 570 ; Cass. 3e civ. 7-6-2011 n° 99-70.266 : RDI 2011 p. 442).
Pour justifier ce revirement de jurisprudence, les Hauts Magistrats rappellent :
que la pratique prétorienne de « la cassation pour perte de base légale ne dispensait pas l’exproprié de saisir le juge de l’expropriation, seul compétent pour statuer sur toutes les conséquences, notamment indemnitaires, de l’annulation de l’ordonnance d’expropriation » ;
et que l'annulation d'une ordonnance d'expropriation pour perte de fondement légal, prévue par les articles L 223-2 et R 223-1 à R 223-8 du Code de l'expropriation, constitue un recours garantissant pleinement les droits de l'exproprié.
Notons enfin que dans son avis, la première avocate générale près la Cour de cassation, Madame Vassallo :
après avoir constaté que « laisser ouverte la voie d’un pourvoi formé par anticipation pourrait encombrer » la Cour de cassation et « laisser en sommeil pendant plusieurs années une affaire qui peut voir sa durée prolongée par l’exercice des voies de recours devant la juridiction administrative » ;
avait néanmoins conclu au « maintien du recours traditionnel en cassation avant la décision irrévocable du juge » soulignant que « le principal intérêt de la coexistence des deux voies réside dans la possibilité pour l’exproprié, d’exercer son droit d’accéder à un juge sans attendre, c’est-à dire de pouvoir rester actif dans le versant judiciaire de son procès ».
Ce dernier argument n’a pas convaincu la Haute Juridiction (au contraire du premier ?).