En présence d’ordres de paiement comportant des anomalies apparentes, la banque doit, en vertu de son obligation de vigilance, s’assurer de la régularité des ordres de virement auprès du donneur d’ordre. La Cour de cassation a été appelée à énoncer cette règle à l’occasion des faits suivants.
La comptable d’une société ordonne sept virements depuis le compte de la société vers le compte d’une société située à Hong Kong pour un montant de 2 121 903,81 €. La société se rend compte que la comptable a agi en exécution d’e-mails adressés par un tiers usurpant l’identité de son dirigeant. Elle agit contre la banque en restitution des sommes versées.
Sa demande doit être accueillie, juge la Cour de cassation. Il résulte en effet des éléments suivants que les ordres de virement comportaient des anomalies apparentes et que les circonstances inhabituelles entourant les virements litigieux laissaient suspecter une possible « fraude au président », de sorte que la banque aurait dû vérifier la régularité des ordres de virement auprès du dirigeant de la société, seule personne contractuellement habilitée à les valider :
les ordres de virements avaient eu un caractère rapproché et répété ;
la période de l'année à laquelle ils étaient intervenus était inhabituelle ;
leurs montants étaient élevés par rapport aux ordres habituellement donnés ;
ils avaient été établis au bénéfice de sociétés qui ne faisaient pas partie des relations d'affaires de la société et qui était situées en dehors de l'espace habituel de son activité.
A noter :
1° Le régime exclusif de responsabilité du banquier en cas d’opération de paiement non autorisée n’est pas applicable aux virements effectués hors zone Sepa (C. mon. fin. art. L 133-1 dans sa rédaction antérieure à Ord. 2017-1252 du 9-8-2017 applicable à la date des opérations litigieuses), comme c’était le cas en l’espèce dès lors que les fonds avaient été virés à Hong Kong (« Sepa » – ou « Single Euro Payments Area » désigne un moyen de paiement sécurisé qui permet de transférer des fonds vers un autre compte dans 34 pays, dont les pays de l’UE, les pays de l’Association européenne de libre-échange, Monaco, Saint-Marin et le Royaume-Uni).
Dans une telle hypothèse, la responsabilité de la banque doit être recherchée sur le fondement du droit commun (Cass. com. 14-2-2024 n° 22-11.654 F-B : RJDA 5/24 n° 310). Dans ce cadre, la banque doit vérifier la régularité apparente des ordres de paiement que son client lui adresse ; elle doit notamment faire preuve d’une vigilance particulière lorsque les mouvements du compte sont de nature suspecte et font apparaître des anomalies apparentes matérielles ou intellectuelles (Cass. com. 22-11-2011 n° 10-30.101 F-PB : RJDA 2/12 n° 190 ; Cass. com. 5-4-2023 n° 21-22.300 F-D : RJDA 10/23 n° 536).
La décision commentée s’inscrit dans la droite ligne de cette jurisprudence.
La Cour de cassation apporte ici une précision importante en jugeant que la banque avait l’obligation de contacter le dirigeant lui-même, qui est la seule personne habilitée contractuellement à valider les ordres de virement. Il est vrai qu’en matière de « fraude au président » le dirigeant est la seule personne en mesure de déjouer les manœuvres en question. En l’espèce, la banque avait d’ailleurs fait contrôler les ordres de virement par la comptable, qui les avait confirmés, pensant que la consigne émanait de sa hiérarchie. Le contrôle de la banque auprès du seul préposé a été jugé insuffisant au regard de son obligation de vigilance.
2° La responsabilité de la banque n’a été retenue qu’à hauteur de 50 % car la société avait également commis une faute. Les juges du fonds ayant une grande liberté d’appréciation en ce domaine, la part de responsabilité de la banque peut donc varier en fonction des circonstances.
3° Dans sa nouvelle version, applicable aux opérations effectuées depuis le 13 janvier 2018, l'article L 133-1 du Code monétaire et financier rend applicable le régime de la responsabilité en cas d’opération de paiement non autorisée quelle que soit la devise concernée dès lors que le prestataire de services de paiement du bénéficiaire, ou celui du payeur, est situé sur le territoire de la France métropolitaine ou en outre-mer, « en ce qui concerne les parties de l'opération de paiement qui sont effectuées dans l'Union ».
La Cour de cassation devra interpréter ces dispositions et notamment déterminer si ce régime particulièrement favorable au payeur victime d’un ordre de paiement auquel il n’a pas consenti s'applique aux opérations de paiement situées hors zone Sepa effectuées à partir de l’Union européenne depuis cette date.
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