La Quotidienne : Depuis la première édition de votre traité « Les impôts dans les affaires internationales », quelles sont les évolutions les plus marquantes de la matière ?
Bruno Gouthière : Dans l’ensemble, l’environnement juridique créé par les conventions fiscales internationales est resté assez stable ; les modèles ont naturellement été actualisés mais leur architecture n’a pas été fondamentalement modifiée. L’évolution la plus remarquable me paraît être l’importance considérable prise en trente ans par le droit de l’Union européenne en matière de fiscalité directe : dans la première édition des Impôts dans les Affaires Internationales, je n’avais consacré que quelques pages à la jurisprudence de la CJCE (aujourd’hui CJUE) sur la fiscalité directe, qui était quasiment inexistante, alors qu’il y en a soixante-dix dans la dernière… De même pour le droit dérivé, tellement se sont multipliées les directives européennes, qu’elles soient destinées à améliorer le fonctionnement du marché intérieur ou, particulièrement depuis quelques années, à lutter contre la fraude ou l’évasion fiscales internationales. Une autre évolution majeure, lourde de conséquences pratiques pour les entreprises, est bien sûr l’importance grandissante de la lutte contre les « prix de transfert » ; alors que le texte répressif français date de 1933, il n’était guère appliqué avant la fin des années 1980. Aujourd’hui, les contrôles sont très nombreux, les travaux de coordination internationale se multiplient et la jurisprudence est extrêmement nourrie.
La Quotidienne : Et dans la période récente ?
B.G. Au cours de la période récente, ce qui me frappe, c’est l’importance politique et médiatique donnée à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales internationales ; certaines pratiques des entreprises multinationales, qui peuvent pourtant être parfaitement conformes aux règles définies par les Etats eux-mêmes, sont stigmatisées et deviennent des enjeux du débat public. La lutte contre ce que l’on appelle le « BEPS », à savoir l’érosion de l’assiette imposable et les transferts de bénéfices, est un sujet qui se traite entre chefs d’Etat et de gouvernements dans le cadre du G20 alors que la fiscalité était jadis regardée comme un sujet secondaire du domaine des spécialistes.
La Quotidienne : Quelles sont les préoccupations essentielles des entreprises aujourd’hui ?
B.G. L’une des difficultés, me semble-t-il, vient de la complexité et de l’imprécision de la norme applicable. La multiplication des textes, qui sont parfois redondants ou qui se contredisent, l’instabilité législative et le développement des contentieux sur la portée incertaine du droit de l’Union européenne créent un sentiment d’insécurité et d’incertitude. Un peu plus de simplicité et de stabilité seraient vraiment bienvenues ! Une autre difficulté importante tient à la frontière de plus en plus ténue entre l’optimisation fiscale acceptable et l’évasion fiscale inacceptable : les entreprises doivent légitimement chercher à réduire leur charge fiscale mais il est de plus en plus difficile pour elles de savoir si, ce faisant, elles n’ont pas franchi la ligne rouge. L’administration a souvent tendance à le prétendre mais, heureusement, le juge de l’impôt et le juge constitutionnel veillent.
La Quotidienne : Cet ouvrage est LA référence dans son domaine, est-il destiné aux seuls spécialistes hyper pointus ?
B.G. J’espère que non ! En tout cas, ce n’est pas son objectif : c’est un ouvrage qui cherche, bien sûr, à donner des indications méthodologiques et à expliquer le fondement des règles, leur portée et la façon dont elles doivent être appliquées. Mais j’essaye toujours de faire en sorte que ces explications soient illustrées par des exemples concrets afin que le lecteur puisse y trouver des solutions pratiques aux questions qu’il se pose … et qu’il comprenne aussi que certaines situations devraient l’amener à se poser des questions auxquelles il n’a pas pensé !
Propos recueillis par Laurent MONTANT
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Bruno Gouthière avocat, associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre et auteur de l’ouvrage Les impôts dans les affaires internationales