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Quelle indemnisation pour la salariée enceinte licenciée qui ne demande pas sa réintégration ?

La salariée enceinte dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a notamment droit au paiement des salaires qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction et la fin de la période de protection de 10 semaines après le congé de maternité.


Par Valérie DUBOIS
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©Getty Images

Cass. soc. 6-11-2024 n° 23-14.706 FS-B, Sté Lidl c/ O.

L’employeur qui licencie une salariée en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité et des congés payés pris immédiatement après ce dernier ainsi que pendant les 10 semaines suivant l'expiration de ces périodes, encourt la nullité du licenciement, sauf s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement (C. trav. art. L 1225-4 et L 1225-70).

Des sanctions légales remaniées par une ordonnance de 2017

La nullité du licenciement ouvre droit, si la salariée le demande, à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent (Cass. soc. 30-4-2003 n° 00-44.811 FP-PBRI : RJS 7/03 n° 869 ; Cass. soc. 15-10-2003 n° 01-44.503 F-D : RJS 1/04 n° 28). L’intéressée peut aussi prétendre au paiement des salaires qu'elle aurait dû percevoir entre son licenciement et sa réintégration ou la date de son refus si elle renonce à la réintégration demandée (Cass. soc. 17-2-2010 n° 08-45.640 FS-PB : RJS 5/10 n° 423), sans déduction des revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier durant cette période (Cass. soc. 29-1-2020 n° 18-21.862 FS-PB : FRS 5/20 inf. 1 p. 3), et aux congés payés afférents (Cass. soc. 10-11-1993 n° 89-42.302 P : RJS 12/93 n° 1192).

Si la salariée ne demande pas sa réintégration, l'employeur doit lui verser, outre une indemnité de préavis (Cass. soc. 12-3-1991 n° 88-40.806 P : RJS 4/91 n° 444 ; Cass. soc. 10-11-1993 n° 89-42.302 P : RJS 12/93 n° 1192), une indemnité égale à au moins 6 mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi du fait du caractère illicite du licenciement (C. trav. art. L 1225-71 et L 1235-3-1, al. 8).

Cette dernière indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L 1225-71 du Code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle (C. trav. art. L 1235-3-1, al. 9).

A noter :

L’article L 1225-71 du Code du travail a été réécrit par l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail.

Avant le 24 septembre 2017, l’article L 1225-71, alinéa 2 prévoyait que, si le licenciement de la salariée était nul en raison du non-respect des règles relatives à la protection de la grossesse et de la maternité, l'employeur devait lui verser le montant du salaire qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité.

Mais cette précision a disparu de l’article L 1225-71, dans sa rédaction issue de l’ordonnance. En effet, depuis le 24 septembre 2017, il prévoit que toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des règles relatives à la protection de la grossesse et de la maternité peut donner lieu, au profit de la salariée, à l'attribution d'une indemnité déterminée conformément aux dispositions de l'article L 1235-3-1 du Code du travail, c’est-à-dire égale à au moins 6 mois de salaire.

Or l’article L 1235-3-1 du même Code fait toujours référence au salaire dû en application de l’article L 1225-71 qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité.

Par un arrêt du 6 novembre 2024, la Cour de cassation se prononce pour la première fois, à notre connaissance, depuis la modification de l’article L 1225-71 par l’ordonnance du 22 septembre 2017, sur le droit de la salariée enceinte, dont le licenciement est jugé nul et qui ne demande pas sa réintégration, à percevoir une indemnité égale au montant du salaire qu'elle aurait perçu pendant la période couverte par la nullité.

Même sans demande de réintégration,les salaires sont dus

En l’espèce, une caissière employée libre-service licenciée pour faute grave saisit la juridiction prud’homale afin de solliciter notamment la nullité de son licenciement qui aurait été prononcé en lien avec son état de grossesse.

Jugeant que l’existence d’une faute grave n’est pas démontrée et que l’employeur avait connaissance de la grossesse de la salariée au moment du licenciement, la cour d’appel fait droit à sa demande. À ce titre, elle lui octroie notamment une indemnité égale à au moins 6 mois de salaire en application de l’article L 1235-3-1 du Code du travail ainsi qu’une indemnité correspondant aux salaires dus pendant la période de protection couverte par la nullité qui court du jour du licenciement jusqu’à 10 semaines suivant l’expiration du congé de maternité. Pour rendre sa décision, elle se fonde sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la salariée qui demande sa réintégration de principe ou qui y renonce est en droit d'obtenir une indemnité correspondant au salaire qu'elle aurait perçu pendant la période couverte par la nullité, sans déduction des revenus de remplacement.

Estimant ne pas devoir cette dernière indemnité à la salariée, l’employeur se pourvoit en cassation. À l’appui de son pourvoi, il fait valoir que, si, lorsque le licenciement d'une salariée est jugé nul pour avoir été prononcé en lien avec son état de grossesse et que la salariée ne demande pas sa réintégration, elle a droit à l'attribution d'une indemnité équivalant à au moins 6 mois de salaire, elle n'a plus le droit en revanche, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, au montant des salaires qu'elle aurait dû percevoir pendant la période couverte par la nullité.

La Cour de cassation approuve la décision des juges du fond, mais invoque un autre fondement. Elle s’appuie sur les articles L 1225-71 et L 1235-3-1 du Code du travail, interprétés à la lumière des articles 10 de la directive 92/85 du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail, et 18 de la directive 2006/54 du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail qui interdit toute discrimination fondée sur le sexe.

Selon la Haute Juridiction, il résulte de la combinaison de ces articles que la salariée, qui n’est pas tenue de demander sa réintégration, a droit :

  • aux indemnités de rupture ;

  • à une indemnité au moins égale à 6 mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement ;

  • et aux salaires qu'elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.

Pour justifier sa décision, la Cour de cassation rappelle que, selon une jurisprudence constante de la CJUE, un licenciement pendant le congé de maternité, mais également pendant toute la durée de la grossesse ne peut concerner que les femmes et constitue, dès lors, une discrimination directe fondée sur le sexe (CJUE 11-11-2010 aff. 232/09 : RJS 2/11 n° 194). Et, dans l’hypothèse d’un licenciement discriminatoire, le rétablissement de la situation d'égalité ne pourrait pas être réalisé à défaut d'une réintégration de la personne discriminée ou, alternativement, d'une réparation pécuniaire du préjudice subi (CJCE 2-8-1993 aff. 271/91 : RJS 1/94 n° 98). Lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue pour atteindre l'objectif de rétablir l'égalité des chances effective, elle doit être adéquate en ce sens qu'elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables (CJUE 17-12-2015 aff. 407/14 : RJS 4/16 n° 382).

Dès lors, la cour d’appel qui avait jugé le licenciement de la salariée nul ne pouvait que condamner l’employeur à lui verser une indemnité couvrant la période comprise entre la date d’éviction de l’entreprise et l’expiration de la période de protection de 10 semaines suivant l’expiration du congé de maternité, ainsi que les congés payés afférents.

A noter :

Par cet arrêt, la Cour de cassation comble donc une lacune qui figurait dans la loi depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 septembre 2017, en recourant au droit européen et en s’inspirant de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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