Il y a faute lourde lorsque le salarié commet des actes fautifs uniquement dans le but de porter préjudice à son employeur ou, comme c’est le cas dans cette affaire, lorsque le salarié agit pour satisfaire son intérêt personnel tout en ayant conscience de porter préjudice à son employeur.
Un chargé de recrutement débauche et recrute des salariés pour le compte d’une société tierce
En l’espèce, un salarié chargé de recrutement senior se livre, pendant l’exécution de son contrat de travail, aux actes suivants, bien qu’il soit lié par une clause d’exclusivité avec son employeur :
il procède au recrutement de salariés pour le compte d’une société tierce dont les profils sont très proches de ceux appelés à travailler pour son employeur, ce dernier ayant une activité de conseil en management et en système d’information et la société tierce une activité de conseil en système logiciels informatiques ;
il participe au débauchage de plusieurs salariés de son employeur et tente d’en débaucher d’autres ;
il utilise les informations et le système d’information mis à disposition par son employeur au bénéfice de la société tierce et présente à cette dernière des candidatures initialement destinées à son employeur.
Licencié pour faute lourde, le salarié conteste son licenciement.
La cour d’appel estime que ce licenciement repose sur une faute grave et non sur une faute lourde. Pour elle, s’il est incontestable que ces fautes ont pu nuire à l’employeur, le salarié, qui avait l'intention de greffer sa future entreprise de conseil sur la société tierce, a agi dans son intérêt personnel. La cour d’appel en déduit que la faute lourde ne peut pas être retenue en l'absence d'intention de nuire, laquelle ne peut pas se déduire des seules nuisances causées à l’entreprise par le comportement fautif du salarié.
L’employeur conteste la décision des juges du fond et soutient que la recherche d’un profit personnel par le salarié ne permet pas d’exclure une intention de nuire constitutive de la faute lourde.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
A noter :
Ici, le contrat de travail du salarié comportait une clause d’exclusivité. Mais même en l’absence d’une telle clause, le salarié reste tenu à une obligation de fidélité et de loyauté envers son employeur (C. trav. art. L 1222-1) et ne peut pas, par exemple, se livrer à des activités concurrentes.
Agir dans son intérêt personnel n’empêche pas la qualification de faute lourde
La Cour de cassation commence par rappeler que la faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise (C. trav. art. L 1235-1 ; Cass. soc. 22-10-2015 n° 14-11.291 FP-PB ; Cass. soc. 8-2-2017 n° 15-21.064 FS-PB).
En l’occurrence, la Cour de cassation estime que l’intention de nuire à l’employeur est caractérisée dès lors que le salarié travaille pour une société tierce au profit de laquelle il recrute des salariés en utilisant les moyens et informations fournis par son employeur, débauche des salariés employés par ce dernier et détourne des candidatures adressées à son employeur.
La jurisprudence a par ailleurs retenu la faute lourde dans l’hypothèse où un responsable des ressources humaines d'une société de gestion avait dissimulé son intérêt personnel dans la réalisation d'opérations financières mettant en cause le fonctionnement de la société employeur, à l’origine d’un conflit d’intérêts dont l’employeur n’avait pas connaissance (Cass. soc. 10-2-2021 n° 19-14.315 F-D).
A noter :
À l’instar de la faute grave, la faute lourde prive le salarié du droit aux indemnités de licenciement et de préavis mais pas de l'indemnité compensatrice de congés payés qui reste due (Cass. soc. 28-3-2018 n° 16-26.013 FS-PB). En revanche, seule la faute lourde peut engager la responsabilité civile du salarié à l’égard de son employeur (Cass. soc. 11-4-1996 n° 92-42.847 P ; Cass. soc. 22-9-2011 n° 09-72.557 F-D) et peut lui faire perdre le bénéfice de la portabilité des couvertures santé et prévoyance en cas de chômage (CSS art. L 911-8).