Dans un arrêt destiné à être publié au Bulletin des chambres civiles de la Cour de cassation, la chambre sociale se prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur les conséquences en matière d’égalité de traitement entre catégories professionnelles de l’absence d’entrée en vigueur de l’un des accords catégoriels en raison d’une opposition syndicale. Cette décision conduit à s’interroger sur l’application de la solution retenue dans tous les cas dans lesquels un texte conventionnel est empêché d’entrer en vigueur.
A noter : avant l’entrée en vigueur de la loi Travail du 8 août 2016, qui a consacré le principe de l’accord d’entreprise majoritaire, un accord d’entreprise signé par des syndicats n’était valide que s’il était signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 30 % des suffrages et s’il n’était pas frappé d’opposition par un ou plusieurs syndicats représentatifs majoritaires (C. trav. art. L 2232-12 ancien). Désormais, le droit d’opposition ne subsiste que pour les conventions de branche et accords professionnels et interprofessionnels.
Le syndicat ne s’oppose qu'à l’accord des non-cadres
Dans cette affaire, avaient été conclus dans l’entreprise deux accords relatifs à l’aménagement du temps de travail des salariés, l’un pour les cadres, l’autre pour les non-cadres. À la suite de négociations ultérieures entre l’employeur et les organisations syndicales, deux avenants à ces textes catégoriels ont été signés. Un syndicat représentatif a toutefois exercé son droit d’opposition à l’avenant applicable aux salariés non cadres, sollicité l’ouverture de nouvelles négociations et, face au refus de l’employeur, demandé au juge de lui faire injonction d’appliquer à cette catégorie de personnel les dispositions du texte applicable aux cadres relatives aux heures d’accès à l’entreprise, aux plages de présence obligatoires et au nombre de jours d’autorisation d’absence.
La cour d’appel de Versailles a accédé à la demande de l’organisation syndicale, rejetant notamment deux arguments avancés par l’employeur pour sa défense.
Ce dernier estimait, tout d’abord, que le syndicat avait épuisé, avec son opposition, sa capacité à contester les conséquences de celle-ci sur l’égalité de traitement entre les cadres et les non-cadres. Mais, pour les juges du fond, ce n’est pas parce que le texte applicable aux non-cadres a été réduit à néant par les effets de l’opposition régulière d’une organisation syndicale représentative que celle-ci perd sa faculté de soumettre au juge la différence de traitement en résultant entre les deux catégories de personnel.
Ensuite, selon l’entreprise, le droit d’opposition étant prévu par la loi, la différence de traitement née de l’exercice de cette procédure résultait nécessairement de la loi. Ce point de vue a été balayé par la cour d’appel, qui a jugé que si le droit d’opposition était bien prévu par les articles L 2231-8, L 2231-9 et L 2232-12 du Code du travail, alors applicables, ces derniers ne régissaient en aucun cas les éventuelles conséquences de l’opposition sur le respect du principe d’égalité de traitement.
La différence de traitement est justifiée par l’invalidation de l’accord des non-cadres
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond. Pour elle, la différence de traitement entre les cadres et les autres salariés est ici justifiée par un élément objectif et pertinent : le défaut d’entrée en vigueur de l’avenant applicable aux non-cadres en raison de l’exercice par une organisation syndicale de son droit d’opposition. En effet, les dispositions conventionnelles prévues pour les non-cadres ne pouvaient pas être maintenues en vigueur par l’employeur sur la base d’un texte qui n’existait pas. Parallèlement, rien n’empêchait l’entrée en vigueur de l’accord distinct conclu pour les cadres et rien n’imposait à l’employeur d’appliquer les mesures de ce texte à des personnes n’entrant pas dans son champ d’application.
A noter : l’avenant relatif aux non-cadres était réputé non écrit en raison de l’exercice par un syndicat de son droit d’opposition. La question se pose de savoir si la solution retenue par la Cour de cassation pourra être étendue à d’autres cas où l’accord collectif est réputé non écrit. On pense en particulier aux accords d’entreprise devant être soumis à référendum et qui n’ont pas obtenu l’approbation majoritaire des salariés, tels que les accords minoritaires signés par des délégués syndicaux dans le cadre juridique issu de la loi Travail du 8 août 2016, ou certains accords conclus sans délégué syndical. En effet, la loi prévoit que ces accords sont réputés non écrits en l’absence d’approbation par la majorité des salariés (C. trav. art. L 2232-12 et art. L 2231-9), laquelle doit être recueillie dans les cas suivants : accord proposé aux salariés par l’employeur dans les TPE (C. trav. art. L 2232-21 à L 2232-23), accord conclu avec des salariés mandatés (C. trav. art. L 2232-23-1 et L 2232-26) ou avec des élus mandatés dans les entreprises d’au moins 50 salariés (C. trav. art. L 2232-24).
La question de l’application de la solution de l’arrêt du 30 mai 2018 se pose aussi pour les accords collectifs annulés par décision de justice, ces derniers étant en principe alors réputés n’avoir jamais existé.
Guilhem POSSAMAI
Pour en savoir plus sur l'égalité de rémunération entre salariés : Voir Mémento Social n° 32100 s.