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Le legs d’usufruit fait au conjoint s’impute sur ses droits légaux après conversion en capital

Pour déterminer les droits successoraux du conjoint survivant, il faut imputer les legs qui lui ont été consentis sur ses droits légaux du quart en propriété, en ajoutant à la valeur des droits légués en propriété celle, convertie en capital, des droits légués en usufruit.

Cass. 1e civ. 17-1-2024 n° 21-20.520 F-B


Par Emmanuel de LOTH
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©Gettyimages

Un homme décède le 6 juin 2010, laissant son épouse survivante et trois enfants dont un fils né d’un premier mariage. Par testament olographe, il avait institué son épouse légataire de la pleine propriété de ses liquidités et valeurs ainsi que de l’usufruit de tous ses biens meubles et immeubles.

Estimant avoir été lésé lors de la liquidation de la succession, le fils issu de la première union assigne en responsabilité et indemnisation le notaire ayant établi l’acte de partage. Par un arrêt du 10 décembre 2019, la cour d’appel de Paris relève que le notaire a manqué à son obligation d’information et de conseil à l’égard de l’intéressé au motif qu’il n’a pas informé celui-ci de ce qu’aurait été le partage s’il avait été fait une stricte application des dispositions testamentaires. Elle ordonne la réouverture des débats afin de recueillir les observations des parties sur le préjudice tenant à la perte de chance de négocier un partage plus avantageux et le lien de causalité. Par un nouvel arrêt du 2 juin 2021, la cour d’appel de Paris rejette finalement l’action en responsabilité. Elle retient que les droits successoraux de la veuve se cumulent avec les libéralités que le défunt lui a consenties selon les dispositions de l’article 758-6 du Code civil. Par application combinée des articles 757 et 1094-1 du même Code, la veuve bénéficie, outre le quart en pleine propriété de la succession, de l’usufruit des trois quarts, au titre de la quotité disponible spéciale au profit du conjoint survivant. Les juges en déduisent que les droits de l’intéressé dans la succession de son père sont de la nue-propriété du quart. Ayant reçu du partage des droits d’une valeur supérieure, celui-ci ne justifie d’aucune perte de chance de refuser le partage proposé et de négocier un partage plus avantageux.

Cassation au visa des articles 757 et 758-6 précités. Aux termes du premier de ces textes, si l'époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux. Le second dispose : « Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article 1094-1 [quotité disponible spéciale entre époux]. »

Ainsi, pour la détermination des droits successoraux du conjoint survivant, en vue de faire une exacte appréciation de l'existence de la perte de chance, les legs consentis à la veuve devaient d'abord, non pas se cumuler, mais s'imputer en intégralité sur les droits légaux de celle-ci. Il y avait donc lieu de calculer la valeur totale de ces legs, en ajoutant à la valeur des droits légués en propriété celle, convertie en capital, des droits légués en usufruit, et de comparer le montant ainsi obtenu à la valeur de la propriété du quart des biens calculée selon les modalités prévues à l'article 758-5 du Code civil (masse de calcul et masse d’exercice).

A noter :

La loi 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a rétabli l’imputation des libéralités faites au conjoint survivant sur ses droits légaux (C. civ. art. 758-6), que la loi 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral avait supprimée en abrogeant l’ancien article 767 du Code civil. Pour autant, la loi de 2006 n’a pas précisé la méthode de calcul à retenir lorsqu’il s’agit d’imputer des droits qui ne sont pas de même nature, tel un usufruit sur de la pleine propriété, comme c’était le cas dans la décision commentée. Certes, sous l’empire du droit antérieur à la loi de 2001, la Cour de cassation avait jugé, dans la situation inverse où il s’agissait d’imputer des libéralités en propriété sur l’usufruit légal du quart alors attribué au conjoint survivant, que « les libéralités consenties au conjoint survivant s’imputent sur l’usufruit légal et non sur la valeur de biens en pleine propriété, fussent-ils l’assiette de l’usufruit » (Cass. 1e civ. 6-2-2001 n° 99-10.845 : Bull. civ. I n° 28, D. 2001 p. 3566 note C. Aubert de Vincelles). En refusant ainsi une imputation sur l’assiette de l’usufruit, les Hauts Magistrats se ralliaient au principe d’une conversion, mais sans indiquer les modalités précises du calcul (C. Aubert de Vincelles, précité ; voir également S. Gaudemet et D. Vincent, 10e anniversaire de la loi du 23 juin 2006. La dévolution successorale : Defrénois 15-1-2017 n° 125f6 spéc. § 10). Or, comme cela a été présenté en doctrine pour l’imputation d’une libéralité en usufruit sur les droits légaux du quart en propriété dont le conjoint bénéficie aujourd’hui, deux méthodes peuvent être proposées dans l’absolu : « Soit on part des droits en propriété et on les convertit de telle sorte que la libéralité en usufruit puisse leur être confrontée. […] Soit on part de la libéralité en usufruit dont on capitalise la valeur, selon un barème qui tient compte de diverses données et particulièrement de l’âge de l’usufruitier » (F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet : Les successions. Les libéralités, Précis Dalloz, 4e éd. 2014, n° 183 p. 191).

Signalons par ailleurs que certains ont décelé la consécration d’une imputation en assiette dans un arrêt de 2017 rendu sous l’empire du droit actuellement en vigueur (Cridon Nord Est, Florilèges d’automne 2018, Questions de droit successoral). Aux termes de cette curieuse décision, qui semblait inverser le sens de l’imputation, « [l’épouse] bénéficiait de sa vocation légale, augmentée de la portion de la libéralité excédant cette vocation, dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux » (Cass. 1e civ. 25-10-2017 n° 17-10.644 F-PB : BPAT 6/17 inf. 237, Dr. famille 2018 comm. 15 par M. Nicod).

Le point est désormais clairement tranché par l’arrêt du 17 janvier 2024 : la libéralité en usufruit doit s’imputer après conversion en capital sur la vocation légale du conjoint en propriété. S’agissant ici d’une question de liquidation civile, l’utilisation du barème fiscal de l’article 669, I du CGI ne s’impose nullement pour effectuer pareille conversion (Cass. 1e civ. 17-9-2003 n° 00-19.938 F-D), de sorte qu’il est parfaitement possible d’avoir recours à une évaluation économique de l’usufruit ou, à tout le moins, une « graduation civile du barème fiscal » afin de neutraliser les sauts de tranches de 10 ans (voir Mémento Successions Libéralités 2024, dir. B. Vareille, n° 29393). Pour ce qui concerne la date de l’évaluation, les valeurs à retenir sont celles au jour du décès (B. Vareille, Réflexions sur l’imputation en droit des successions : RTD civ. 2009 p. 1 n° 21 ; M. Grimaldi : Droit des successions, LexisNexis, 8e éd. 2020, n° 195).

La divergence de solution avec ce que la Cour de cassation a récemment jugé en retenant que l’imputation d’une libéralité en usufruit en vue d’une éventuelle réduction doit se faire en assiette (Cass. 1e civ. 22-6-2022 n° 20-23.215 FS-B : BPAT 5/22 inf. 236 note N. Pétroni-Maudière, RTD civ. 2022 p. 682 obs. M. Grimaldi, Defrénois 6-4-2023 n° DEF211k1 p. 19 note B. Vareille et F. Fruleux) pourrait surprendre de prime abord. Elle se justifie selon nous par le fait qu’il s’agit dans ce cas d’assurer l’intégrité de la réserve qui se définit non pas seulement par une quotité mais aussi par la nature des droits concernés (voir M. Grimaldi, précité, n° 855).

Rappelons pour terminer que l’imputation des libéralités sur la vocation légale en usufruit du conjoint est quant à elle vivement débattue (sur cette question, voir Mémento Successions Libéralités 2024, précité, nos 9450 s.).

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