Un homme décède en laissant pour héritière réservataire une fille unique, née d’une précédente union, et sa compagne, à qui il a légué l’usufruit de sa maison d’habitation. La maison étant nécessaire pour composer sa réserve, l’héritière réservataire demande la réduction du legs.
La cour d’appel rejette sa demande en retenant que la masse successorale s’élevant à la somme totale de 383 000 €, et, partant, la quotité disponible à celle de 191 500 €, la valeur de l’usufruit légué, qui s’établit à 60 % de la valeur du bien en pleine propriété (240 000 €), soit la somme de 144 000 €, n’excède pas le montant de la quotité disponible.
La première chambre civile relève avec juste raison que l’atteinte à la réserve doit s’apprécier en imputant le legs en usufruit sur la quotité disponible, non après conversion en valeur pleine propriété, mais en assiette, et casse pour ce motif la décision d’appel.
A noter :
Comme le rappelle Nicole Pétroni-Maudière, maître de conférences à la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, l’imputation des libéralités consenties par le de cujus est le mécanisme qui permet de contrôler le respect de la réserve héréditaire par le disposant. Le principe est que les libéralités consenties hors part successorale s’imputent sur la quotité disponible (C. civ. art. 919-2), tandis que celles consenties en avancement de part successorale s’imputent principalement sur la réserve et subsidiairement sur la quotité disponible (C. civ. art. 919-1, al. 1). En cas de dépassement de la quotité disponible, la libéralité est sujette à réduction. Les valeurs à imputer sont les valeurs des biens au jour du décès, dans leur état au jour de la libéralité. Une difficulté peut surgir en présence de libéralités portant sur des droits démembrés et en particulier, ce qui est fréquent, lorsque le disposant a consenti un legs de l’usufruit d’un bien. La méthode d’imputation à suivre a donné lieu à deux courants doctrinaux : l’imputation après conversion et l’imputation sur l’usufruit de la quotité disponible. Selon le premier, l’imputation d’une libéralité en usufruit ne pouvait se faire que par conversion de l’usufruit en capital pour en comparer la valeur à une quotité disponible en pleine propriété. La jurisprudence a pendant un temps retenu cette interprétation (Cass. civ. 10-3-1873 : DP 1874 I p. 9). Un auteur a démontré que la méthode de la conversion peut aboutir à transmettre une partie de l’usufruit de la réserve au légataire, dès lors qu’en raison de son âge, la conversion de l’usufruit légué donne une valeur à imputer sur la quotité disponible inférieure à celle retenue en l’absence de conversion (M. Grimaldi : Droit des successions, LexisNexis, 8e éd. 2020, n° 854). Il a dès lors préconisé, pour vérifier si une libéralité en usufruit excède ou non la quotité disponible, non pas de procéder par conversion mais d’imputer cette libéralité sur l’usufruit de la quotité disponible. Ainsi une libéralité en usufruit se révèle excessive dès lors que l’assiette de l’usufruit représente une part de la succession supérieure à la quotité disponible. Cette méthode permet de fournir aux héritiers leur réserve en pleine propriété, assurant ainsi l’intangibilité de leurs droits (M. Grimaldi, précité, n° 855). La majorité de la doctrine s’est ralliée à cette interprétation (H. L. et J. Mazeaud : Leçons de droit civil, t. IV, vol. 2, Successions et libéralités, Montchrestien, 5e éd. 1999, par S. et L. Leveneur, n° 921 ; J.-Cl. Civil Code, Art. 912 à 930-5, fasc. 30 par C. Brenner, n° 44 ; Rép. civ. Dalloz, v. Réserve héréditaire – Réduction des libéralités par S. Deville et M. Nicod, n° 58). La Cour de cassation a fait un premier pas dans ce sens en reconnaissant à l’héritier le droit de recevoir sa réserve en pleine propriété. Après avoir affirmé qu’il résulte de l’article 913 du Code civil « qu’aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi », elle a jugé réductible un legs en usufruit qui « avait pour effet de priver l’héritier réservataire du droit de jouir et de disposer des biens compris dans sa réserve » (Cass. 1e civ. 19-3-1991 n° 89-17.094 : Bull. civ. I n° 100). Par le présent arrêt, la Haute Juridiction indique clairement que la seconde méthode s’impose en affirmant que la libéralité en usufruit doit s’imputer sur l’usufruit de la quotité disponible, écartant expressément toute conversion.
Il en résulte en l’espèce, qu’alors que la méthode de la conversion excluait la réduction du legs, la méthode de l’imputation en assiette conduit à sa réduction pour dépassement de la quotité disponible (240 000 > 191 500).
La conversion de l’usufruit en capital n’intervient qu’a posteriori, afin de calculer l’indemnité de réduction éventuellement due en cas de dépassement de la quotité disponible, en appliquant le pourcentage auquel correspond la valeur de l’usufruit en fonction de l’âge de l’usufruitier à la fraction réductible du legs. Ce qui donnerait en l’espèce : 48 500 (240 000 – 191 500) / 240 000 x 240 000 (si valeur inchangée du bien au jour de la liquidation de l’indemnité) x 60 % = 29 100 €.
Il convient d’évoquer pour finir le jeu de l’article 917 du Code civil, qui prévoit que sauf exclusion de son application par le disposant, lorsque la valeur de la libéralité en usufruit excède la quotité disponible, les héritiers réservataires bénéficient d’une option : soit exécuter la libéralité en usufruit, soit demander la réduction de la libéralité afin de reconstituer leur réserve, mais en abandonnant alors au gratifié la pleine propriété de la quotité disponible. La libéralité en usufruit peut alors s’exécuter au préjudice de la réserve en pleine propriété, mais c’est au choix des héritiers réservataires.
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