La Cour de cassation complète sa jurisprudence sur les effets du refus par un salarié de la modification de son contrat de travail résultant du transfert d’entreprise en répondant à une question en suspens : quelle est la nature juridique du licenciement prononcé à la suite de ce refus ?
Le transfert d’activité entraîne une modification du lieu de travail
En l’espèce, une société, basée à Nantes, a cédé son activité de vente et de commercialisation de fleurs par internet à une autre société établie à Orléans. Outre le changement d’employeur, cette cession entraînait pour les salariés concernés un changement de lieu de travail. Ceux-ci ont refusé cette modification de leur contrat de travail proposée par le repreneur, qui les a licenciés en raison de ce refus.
Contestant le motif personnel de la rupture de leur contrat, les salariés ont saisi la juridiction prud’homale pour voir dire leur licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et obtenir diverses indemnités. Bien leur en a pris car la cour d’appel de Rennes a décidé de requalifier la rupture en licenciement économique.
Pour tenter d’obtenir gain de cause devant la Cour de cassation, le cessionnaire, à l’appui de son pourvoi, se fondait notamment sur la jurisprudence de la chambre sociale, initiée en 2010, relative aux conséquences du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail par le seul effet du transfert légal.
En effet, lorsque l’application de l’article L 1224-1 du Code du travail entraîne une modification du contrat, autre que le changement d’employeur, le salarié est en droit de s’y opposer. Il appartient alors au cessionnaire, s’il n’est pas en mesure de maintenir les conditions antérieures, soit de formuler de nouvelles propositions, soit de tirer les conséquences de ce refus en engageant une procédure de licenciement. Celui-ci repose alors sur une cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 30-3-2010 n° 08-44.227 FS-PB). Cette solution a ensuite été réaffirmée en 2016 dans une affaire similaire où le salarié avait justement refusé le changement du lieu d’exécution de son activité (Cass. soc. 1-6-2016 n° 14-21.143 FS-PB).
Le refus de la modification du contrat justifie un licenciement économique
La Cour de cassation rejette pourtant le pourvoi du repreneur. Elle ne remet toutefois pas en cause sa jurisprudence mais la précise. En effet, si, dans ses arrêts de 2010 et 2016, elle admettait que le refus par le salarié de la modification de son contrat pouvait entraîner son licenciement pour cause réelle et sérieuse, elle n’avait pas précisé la nature juridique de la rupture de la relation contractuelle. C’est cet « oubli » que répare la chambre sociale dans le présent arrêt.
La Haute Juridiction pose ainsi le principe selon lequel la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, autre que le changement d’employeur, proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique.
Pour trancher le litige, le juge suprême applique ce principe aux faits de l’espèce. Et il relève trois éléments plaidant pour l’absence de motif personnel. D’abord, la modification du contrat de travail des salariés s’inscrivait dans la volonté de l’entreprise de ne conserver qu’un seul lieu de production dans le but de réaliser des économies. Ensuite, l’objectif affiché était la pérennisation de son activité internet. Enfin, le motif réel du licenciement résultait de la réorganisation de la société cessionnaire à la suite du rachat d’une branche d’activité de l’entreprise cédante.
Constatant dès lors que le licenciement, qui avait la nature juridique d’un licenciement économique, avait été prononcé pour un motif personnel, la Cour de cassation ne pouvait que confirmer la position de la cour d’appel ayant jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La solution diffère en cas de modification du contrat proposée après le transfert
La position de la Cour de cassation exposée ci-dessus ne s’applique pas dans l’hypothèse où la modification du contrat de travail ne résulte pas du seul effet du transfert d’entreprise. Dans ce cas, c’est en effet le régime classique de la modification du contrat de travail qui s’applique. Selon une jurisprudence bien établie, le licenciement motivé exclusivement par le refus de la modification ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse. L’employeur doit démontrer que cette modification est justifiée par un motif sérieux (Cass. soc. 27-5-1998 n° 96-41.713 D ; Cass. soc. 31-5-2007 n° 06-42.213 F-D). Par exemple, un employeur ne peut pas licencier un salarié au seul motif qu’il a refusé un changement d’affectation géographique sans justifier du bien-fondé de cette mutation (Cass. soc. 21-1-2003 n° 00-44.364 FS-D).
A noter : À toute fins utiles, rappelons que, en cas de transfert d’entreprise relevant de l’article L 1224-1 du Code du travail, le changement d’employeur ne constitue pas en soi une modification du contrat de travail que le salarié peut refuser (Cass. soc. 15-11-1994 n° 93-42.327 D). La solution rendue dans le cadre de l’arrêt du 17 avril 2019 n’est donc pas applicable à cette situation. La Cour de cassation prend d’ailleurs bien soin d’exclure cette hypothèse dans l’énonciation de son principe.
Guilhem POSSAMAI
Pour en savoir plus sur le transfert des contrats de travail : voir Mémento Social nos 74560 s.