La Quotidienne. Diplômée du notariat, vous avez exercé pendant cinq ans dans plusieurs services de droit des successions et de droit patrimonial, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir médiatrice familiale ?
Pauline Gorioux. Pendant ces années d’exercice, j’ai été le témoin de nombreux conflits familiaux. Le partage patrimonial, à la suite d’un divorce ou d’un décès, impose de faire le bilan de son histoire conjugale ou familiale. Cette étape de la vie fait remonter de nombreuses émotions et des questions qui relèvent de la psychologie et de l’affect. Il en est ainsi, par exemple, des rapports qu’entretenait le parent décédé avec ses enfants qui restent, parfois, toujours en attente de reconnaissance ; de l’enfant qui s’est dévoué pour s’occuper de ses parents vieillissants et qui souhaite que sa part d’investissement soit prise en compte par la fratrie lors du règlement de la succession ; de la décision de vendre la maison familiale détenue en indivision, pourtant transmise de génération en génération... Les secrets ou les conflits familiaux, un temps passé sous silence, refont surface. Ce temps des « règlements de comptes » paralysent de nombreux dossiers. Pour débloquer la situation, les parties s’engagent dans une longue et coûteuse procédure judiciaire. Or l’on constate, la plus part du temps, que le conflit repose sur un défaut de communication ne justifiant pas la saisine du juge aux affaires familiales. La médiation se présente alors comme une vraie solution. Souhaitant aider et accompagner ces familles en difficultés à renouer le dialogue pour trouver un accord – et ainsi aller jusqu’au bout de ma mission –, j’ai décidé de devenir médiatrice familiale. Afin de compléter ma formation initiale, j’ai suivi une formation et obtenu le diplôme d’Etat (DEMF). Ce métier ne s’improvise pas : gérer le conflit, instaurer une communication non violente et rester neutre demandent un vrai apprentissage et une pratique régulière (le temps et l’expérience permettent de construire sa posture de médiateur, bien différente de celle de notaire). Aujourd’hui je pratique quotidienne la médiation et en ai fait mon métier, convaincue de la nécessité de choisir entre ces deux métiers afin de pouvoir proposer un vrai service de qualité.
. Si les questions pratiques et matérielles sont souvent les mêmes, aucune histoires familiales ne se ressemblent et les solutions retenues sont toujours différentes.
La Quotidienne. Pourquoi la médiation en matière patrimoniale est-elle encore si peu connue ?
P. G. En cas de conflit familial touchant le patrimoine, la réponse judiciaire semble naturelle ; elle est le premier réflexe dans les esprits. Le recours à la médiation n’est pas encore assez prescrit par les professionnels du droit (avocat, généalogiste, notaire, administrateur judiciaire…) même si l’on constate une volonté du côté des magistrats (plus précisément les présidents de TGI) de l’encourager à tout moment de la procédure. Par exemple, au TGI de Nanterre au sein duquel j’assure une permanence, le juge est invité à sélectionner les dossiers qui remplissent les critères pour aller en médiation et le greffier convie les parties individuellement à une réunion d’information de 30 minutes.
La Quotidienne. Quels sont les avantages de la médiation (judiciaire ou conventionnelle) dans ce domaine ?
P. G. La médiation patrimoniale donne lieu à un accord dans pratiquement 70 % des cas après trois ou quatre rencontres. Sa durée moyenne est de quatre mois (dans le cas d’une succession réunissant de nombreux indivisaires, le délai peut être supérieur du fait de la difficulté à réunir tous les intéressés). De fait, le gain de temps est le premier critère qui pousse les parties à recourir à la médiation. Elles s’épargnent ainsi deux à cinq ans de procédure. Il faut bien avoir à l’esprit que les parties sont usées par le conflit et souhaitent trouver une issue rapide. Tel est notamment le cas des ex-époux qui, n’arrivant pas à s’entendre sur la liquidation de leur régime matrimonial après une première procédure de divorce, ont recours à la médiation pour éviter une seconde procédure. Les parties comprennent qu’elles sont les plus compétentes pour prendre la meilleure décision les concernant, qu’elles doivent prendre leurs responsabilités, au risque d’obtenir une décision judiciaire qui, finalement, ne les satisferont pas. La médiation partielle est rarement acceptée, les parties préfèrent tout régler, en finir.
La Quotidienne. Existent-ils des freins ?
P. G. Outre la méconnaissance de l’existence de ce règlement amiable, le premier frein est le principe même de la médiation : venir discuter avec l’autre alors que la rencontre et le dialogue ne semblent plus possibles. La médiation est une démarche différente de ce qui a déjà été tenté. C’est une discussion nouvelle orchestrée par les médiateurs et une fois l’approche expliquée, le blocage peut être dissipé.
Le deuxième frein est financier mais il peut être facilement levé. En réalité, il est souvent la « bonne excuse » pour refuser la discussion et, par conséquent, la médiation. Certes la médiation a un coût, qui s’additionne aux honoraires des avocats accompagnant les parties durant la médiation, mais il reste bien inférieur aux honoraires d’une procédure judiciaire de plusieurs années.
Le troisième frein est le besoin d’autorité : les parties ne croient qu’à une solution légale émanant d’un magistrat. Dans les faits, elles ont la volonté de déléguer la gestion du conflit : tout d’abord, à leur conseil, qui les représente et se bat pour eux ; ensuite, au juge, qui tranchera à leur place. Cela permet de se désinvestir mais c’est illusoire.
Le quatrième frein est lié au premier : le refus de la médiation peut s’expliquer par le souhait de rester en lien. Le conflit et la procédure le font perdurer. Trouver un accord est le symbole de la séparation finale.
Le dernier frein pourrait venir du médiateur lui-même qui estime que la médiation n’est pas le bon accompagnement pour les parties. Au cours de l’entretien préalable, qui a pour but de vérifier leur motivation à trouver un accord, le médiateur peut relever qu’une partie est sous emprise, se trouve en situation de faiblesse et qu’elle est ainsi dans l’incapacité de prendre une décision sans subir l’influence de l’autre partie.
La Quotidienne. Des plateformes proposent un service de médiation en ligne, ce qui sous-entend l’absence de rencontre entre les parties. Qu’en pensez-vous ?
P. G. L’écrit attise et alimente souvent les conflits. Certes, il est tout à fait possible de mener une médiation par Skype©, la distance n’est pas, à proprement parler, un frein.Toutefois, l’on constate que la rencontre frontale est recherchée par les parties qui se sont donné une chance de discuter, de se revoir et de crever l’abcès. Le fait de se déplacer, de venir (parfois de loin) aux trois ou quatre rendez-vous montre l’investissement de chacun dans la résolution du conflit, traduit la motivation à renouer un lien familial distendu, voire rompu, depuis des années. Le conflit apaisé, la médiation permet, parfois, à des familles de prendre un nouveau départ.
Propos recueillis par Audrey TABUTEAU
Pauline Gorioux, médiatrice familiale D.E. et diplômée du notariat, cabinet Mediaccord