Les actionnaires majoritaires d’une société anonyme (SA) ayant pour seule activité la gestion d’un patrimoine immobilier décident d’affecter les bénéfices sociaux aux réserves (environ 550 000 €, alors que les réserves s'élevaient déjà à plus de 620 000 €). Une cour d’appel annule cette décision, après avoir constaté que celle-ci était contraire à l’intérêt social mais sans caractériser en quoi elle avait été prise dans l’unique dessein de favoriser les majoritaires au détriment du minoritaire, et son arrêt est cassé (Cass. com. 10-6-2020 n° 18-15.614 F-D : RJDA 10/20 n° 499). La cour d’appel de renvoi annule à son tour la décision, jugeant que ce critère est rempli dès lors que les majoritaires exerçaient des fonctions de direction au sein de la société et percevaient à ce titre une rémunération dont le minoritaire ne bénéficiait pas, alors que, détenant 43,36 % du capital, celui-ci était privé de tout dividende. Nouvelle censure par la Haute Juridiction, qui reproche à la cour d’appel de ne pas avoir constaté que le montant de ces rémunérations était injustifié au regard des fonctions exercées par les intéressés (Cass. com. 30-8-2023 n° 22-10.108 F-D : RJDA 2/24 n° 102).
Statuant sur renvoi, la cour d’appel de Nîmes estime que tel est bien le cas. Certes, les rémunérations que percevaient deux des actionnaires faisant partie du groupe majoritaire n’étaient pas discordantes au regard de leurs fonctions respectives de président-directeur général de la SA (environ 59 000 €) et d’administrateur et salarié de celle-ci (environ 46 000 €). Mais l’un des actionnaires, qui détenait 54 % du capital social, bénéficiait d’un avantage en nature non justifié par ses fonctions d’administrateur car il occupait sans contrepartie, à titre de logement de fonction, une villa avec piscine appartenant à la société. De son côté, le minoritaire ne retirait de la société aucun avantage autre que celui de participer à la distribution des bénéfices sociaux. Ainsi, la décision de placer les bénéfices sociaux en réserve était non seulement contraire à l’intérêt social mais aussi prise dans l’unique dessein de favoriser cet actionnaire majoritaire au détriment de l’actionnaire minoritaire. Par suite, la cour d'appel annule la décision.
A noter :
Pour qu’une décision collective soit annulée pour abus de majorité, deux critères doivent être remplis : la décision doit, d’une part, être contraire à l’intérêt social et, d’autre part, avoir été prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres associés (jurisprudence constante, notamment : Cass. com. 24-1-1995 n° 93-13.273 P : RJDA 4/95 n° 439 ; Cass. com. 30-11-2004 n° 01-16.581 D : RJDA 3/05 n° 263).
En l’espèce, la contrariété à l’intérêt social a été retenue car la mise en réserve des bénéfices ne se trouvait justifiée ni pour faire face à un endettement ni pour réaliser un investissement mais relevait d’une politique de thésaurisation excédant la gestion prudente de la société au regard de son activité réduite à la simple gestion d’un patrimoine immobilier. C’est la recherche du second critère qui a donné lieu aux décisions successives dans cette affaire. La cour d’appel de renvoi applique ici le critère dégagé par la Cour de cassation dans son arrêt de 2023, selon lequel le fait que les actionnaires majoritaires perçoivent une rémunération pour des fonctions de direction ne confère un caractère abusif à la mise en réserve des bénéfices que si ces rémunérations sont injustifiées au regard des fonctions exercées.