Au décès d’un associé et gérant d’une société civile, son conjoint recueille l’usufruit de ses parts sociales et leur nue-propriété est attribuée aux trois enfants du défunt, en indivision. L’un des nus-propriétaires est nommé gérant de la société au cours d’une assemblée générale dont un autre nu-propriétaire n’a pas été informé. Ce dernier sollicite alors la désignation d’un administrateur provisoire pour convoquer une nouvelle assemblée générale chargée de nommer un gérant et d'examiner les comptes.
La société et le nu-propriétaire nommé gérant s'y opposent, faisant valoir que la qualité d’associé des indivisaires ne leur accorde individuellement des droits que dans la mesure où leur exercice demeure compatible avec les droits des autres indivisaires ; la demande de nomination d’un administrateur provisoire, mesure grave pouvant conduire à dessaisir le gérant de ses pouvoirs, ne peut donc pas être, selon eux, présentée par un seul des indivisaires.
Argument rejeté par la Cour de cassation. Le demandeur, nu-propriétaire indivis de droits sociaux, a la qualité d’associé de sorte qu’il est recevable à agir en désignation d’un administrateur provisoire.
A noter : Arrêt de principe rendu à propos d'une société civile, mais transposable, à notre avis, aux sociétés commerciales.
Il ne fait pas de doute que le nu-propriétaire de parts ou d'actions de société a la qualité d'associé (Cass. 2e civ. 13-7-2005 n° 02-15.904 FS-PB : RJDA 11/05 n° 1224).
Il a en outre été jugé que la qualité d'associé doit être reconnue à chaque indivisaire (Cass. crim. 4-11-2009 n° 09-80.818 : RJDA 3/10 n° 245 ; Cass. com. 21-1-2014 n° 13-10.151 : RJDA 5/14 n° 443 ; dans le même sens, Cass. 1e civ. 6-2-1980 : Rev. sociétés 1980 p. 521 note A. Viandier). Toutefois, il a aussi été jugé que, pendant la durée de l'indivision, l'exercice des droits attachés à cette qualité « demeure limité en vertu des règles propres au régime des indivisions » (Cass. 1e civ. 6-2-1980, précité ; dans le même sens, CA Paris 15-2-1990 : D. 1990 IR p. 74). Ainsi, dans l'affaire relatée ci-dessus, la société invoquait l’article 815-9 du Code civil aux termes duquel chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires.
Il résulte de la décision de la Cour de cassation que cette disposition ne peut pas limiter les prérogatives du nu-propriétaire au regard du droit des sociétés. Tout associé a le droit de participer aux assemblées générales (C. civ. art. 1844. al. 1), y compris chaque nu-propriétaire indivisaire (Cass. com. 21-1-2014 précité). En l'espèce, le nu-propriétaire indivis, qui n'avait pas été informé de la tenue de l'assemblée et n'avait donc pas pu y participer, pouvait demander en justice la nomination d'un administrateur provisoire, chargé de convoquer une nouvelle assemblée. Une jurisprudence bien établie autorise en effet les associés à demander cette nomination lorsque la gestion de la société est entravée soit du fait des gérants, soit du fait des associés ou des deux à la fois.
Le nu-propriétaire indivis devrait aussi pouvoir exercer seul d'autres droits ouverts aux associés par le droit des sociétés comme, par exemple, intenter l'action sociale (C. civ. art. 1843-5), demander la nullité des décisions collectives entachées d'abus de droit ou encore, dans les sociétés commerciales, demander une expertise de gestion (C. com. art. L 223-37 et L 225-231).
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Assemblées générales nos 91530, 90400, 90530 et 90560