Si la convention ou l'accord collectif applicable dans l'entreprise ne fixe pas les critères d'ordre des licenciements économiques, c'est l'employeur qui les détermine après avoir consulté le comité social et économique. Il doit prendre en compte tous les critères fixés par l'article L 1233-5 du Code du travail - charges de famille, ancienneté, situation des salariés présentant des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile et qualités professionnelles appréciées par catégorie - mais peut en privilégier certains, ou les pondérer, à condition de s'appuyer sur des éléments objectifs et vérifiables (Cass. soc. 21-11-2006 n° 05-40.656 FS-PB), non discriminatoires (Cass. soc. 3-3-1998 n° 95-41.610 PBR), et de ne pas neutraliser un critère en lui affectant une valeur identique pour tous les salariés (Cass. soc. 26-2-2020 n° 17-18.136 FS-PB).
Ces principes ne sont pas toujours compris ou correctement appliqués par les employeurs, ce qui peut justifier leur condamnation à verser des dommages-intérêts aux salariés lésés. Deux décisions de la Cour de cassation en témoignent.
A noter :
Pour rappel, le non-respect des règles relatives à l'ordre des licenciements est sanctionné par l'amende prévue pour les contraventions de 4e classe. Il ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 5-12-2006 n° 04-48.800 F-D), mais si le salarié prouve avoir subi un préjudice, le juge peut lui accorder des dommages-intérêts dont il évalue souverainement le montant (Cass. soc. 26-2-2020 n° 17-18.136 FS-PB). Cette somme n'est pas cumulable avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 27-10-1998 n° 96-42.493 P) ni avec l'indemnité prévue en cas d'annulation d'une décision de validation ou d'homologation du PSE (Cass. soc. 16-2-2022 n° 20-14.969 FS-B).
Critère de la compétence professionnelle : le niveau de diplôme ne suffit pas
L'appréciation des aptitudes professionnelles des salariés, en tant que critère retenu pour fixer l'ordre des licenciements économiques, incombe à l'employeur : son opinion est, en principe, discrétionnaire, car il est seul juge des qualités professionnelles de ses salariés (Cass. soc. 17-11-1966 n° 65-40.256 ; Cass. soc. 18-5-1988 n° 85-42.357 D). Le pouvoir de l'employeur en la matière est toutefois soumis au contrôle du juge. En effet, en cas de litige, il doit être en mesure de produire les éléments objectifs sur lesquels il s'est appuyé pour évaluer les aptitudes du salarié (Cass. soc. 24-2-1993 n° 91-45.859 P ; Cass. soc. 29-6-1994 n° 92-44.756 P). En outre, le juge vérifie que l'appréciation portée par l'employeur sur les qualités professionnelles du salarié ne relève pas d'une erreur manifeste ou d'un détournement de pouvoir (Cass. soc. 24-9-2014 n° 12-16.991 FP-PB).
Ce principe, régulièrement rappelé par la jurisprudence (voir en dernier lieu Cass. soc. 22-9-2021 n° 19-23.679 F-D), l'est à nouveau dans l'affaire jugée par la Cour de cassation le 18 janvier 2023 (n° 21-19.675).
En l'espèce, pour l'appréciation du critère professionnel, la salariée avait été notée uniquement en fonction de son niveau de diplôme et non sur ses qualités professionnelles. Or cette salariée et sa collègue disposaient d'une expérience équivalente : il était donc impossible de les départager objectivement pour fixer l'ordre des licenciements. La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, a donc condamné l'employeur à verser 3 000 € de dommages-intérêts à la salariée licenciée.
A noter :
La Cour de cassation a déjà jugé que le critère tiré de la possession de diplômes ne peut pas être assimilé, à lui seul, à celui des qualités professionnelles (Cass. soc. 17-3-1993 n° 91-42.118 D). L'employeur aurait pu, en l'espèce, justifier sa décision par la production de comptes-rendus d'entretiens d'évaluation professionnelle ou, à défaut, des formations suivies par le salarié et de nature à faciliter sa reconversion (CA Nîmes 26-6-1990 n° 89-1143 ; CA Paris 25-9-1991 n° 91-31941), du montant des primes d'assiduité versées au salarié, recalculées de façon à ne pas pénaliser les salariés absents pour maladie ou maternité (CE 22-5-2019 n° 412242) ou de son dossier disciplinaire (Cass. soc. 19-5-2010 n° 09-40.103 F-D).
Charges de famille : pas exclue, la pondération en fonction de l'âge des enfants doit être objectivement justifiée
Dans la seconde affaire soumise à la Cour de cassation (n° 21-19.633), l'employeur avait pondéré le critère des charges de famille par tranches d'âge, en allouant 2 points par enfant de moins de 6 ans, 1 point par enfant de 7 à 12 ans, aucun point au-delà. Une salariée n'ayant qu'un enfant étudiant à charge n'avait obtenu aucun point à ce titre, alors que ses deux collègues, ayant des enfants de moins de 6 ans, avaient bénéficié de points supplémentaires. Considérant que cette application des critères d'ordre des licenciements était déloyale, elle avait saisi le juge prud'homal d'une demande de dommages et intérêts.
La cour d'appel, dont l'appréciation est souveraine, a jugé que l'employeur ne démontrait pas en quoi cette distinction opérée selon l'âge des enfants était pertinente et objectivement justifée quant à la charge réelle des enfants eu égard à leur âge. Pour la Cour de cassation, elle a par ce seul motif justifié sa décision de condamner l'employeur à verser à la salariée la somme de 3 000 € à titre de dommages-intérêts.
A noter :
L'employeur est libre, au sein d'un des critères légaux, de « décomposer » les points qu'il attribue. Par exemple, au titre de l'ancienneté, il pourrait attribuer 1 point entre 0 et 10 ans d'ancienneté, 2 points entre 10 et 15 ans, etc. Mais il doit justifier ce barème par des raisons objectives. En l'espèce, il n'avait produit aucune pièce de nature à justifier que la charge financière d'un enfant de moins de 6 ans est supérieure à celle d'un collégien ou d'un étudiant.
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Documents et liens associés
Cass. soc. 18-1-2023 n° 21-19.675 F-D ; Cass. soc. 18-1-2023 n° 21-19.633 F-D