Votre métier
icone de recherche
icone de recherche
logo
Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Patrimoine/ Successions et donations

Partage à la hâte par des époux fraîchement séparés de biens et action paulienne

Le partage hâtif d’une communauté au profit d’une séparation de biens, l’épouse recevant les immeubles et le mari les parts sociales de sa société en cessation de paiement, est inopposable au créancier de la société, victime des délits financiers commis par le mari.

Cass. 1e civ. 17-2-2021 n° 19-17.571 F-D


quoti-20201012-divorce-epoux-fl-c63c61e1-d51f-f162-ab32-d01dffba64dd.jpg

L’associé d’une société en état de cessation des paiements et son épouse, mariés sous le régime légal de la communauté, adoptent celui de la séparation de biens par acte du 7 novembre 2005, homologué le 17 février 2006. Dès le 14 avril 2006, le partage de la communauté est régularisé : l’époux reçoit les parts sociales de ladite société ; en contrepartie, son conjoint est attributaire des immeubles communs. Puis, par jugement du 12 février 2014, le mari est reconnu coupable de délits financiers entre mars 2003 et mai 2007. L’un des créanciers de la société assigne alors les époux en inopposabilité de l’acte de partage intervenu en fraude de ses droits.

La cour d’appel lui donne raison jugeant l’action paulienne recevable et bien fondée.

D’une part, c’est à la lecture du jugement correctionnel que le créancier de la société a pris connaissance du caractère frauduleux de l’acte de partage. Par conséquent, à la date de son assignation, la prescription quinquennale ne lui était pas opposable. Peu importe que le créancier ait été informé du partage dès l’instruction pénale, les agissements de l’époux associé n’étant pas encore qualifiés de frauduleux.

D’autre part, l’action paulienne est recevable lorsque le partage, même consommé, est hâtif. Or l’acte répartiteur est intervenu 5 mois après le changement de régime matrimonial et avant l’expiration du délai d’opposabilité aux tiers de 3 mois à compter de l’inscription du changement en marge des actes d’état civil. L’absence de difficulté des opérations de partage n’était pas de nature à justifier leur rapidité.

Enfin, la valorisation des parts est totalement erronée, elle ne correspond à aucune réalité économique du fait des manœuvres du mari et ce dernier ne justifie pas qu’elles aient eu une valeur équivalente à celles des immeubles partagés. L’épouse ayant bénéficié des immeubles communs sans contrepartie réelle, le partage a donc été fictif. En outre, cette absence de contrepartie exclut le caractère onéreux du partage et par suite la nécessité de prouver la complicité de l’épouse dans la fraude.

La Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond.

À noter : Illustration de l’action paulienne en matière de partage de communauté faisant suite à un changement de régime matrimonial sous l’empire de l’article 1397 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006.

Un partage consommé n’interdit pas aux créanciers de le contester sur ce fondement lorsqu’il a été réalisé à la hâte, en vue d’empêcher leur opposition au titre de l’article 882 du Code civil (pour des précédents jurisprudentiels, Cass. 1e civ. 16-6-1981 n° 80-12.768 : Bull. civ. I n° 212 ; Cass. 1e civ. 17-2-1987 n° 85-11.114 : Bull. civ. I n° 61). L’action leur est également ouverte lorsque le partage est fictif ou réalise une donation déguisée (pour des précédents jurisprudentiels, Cass. 1e civ. 29-5-1979 n° 78-10.165 : Bull. civ. I n° 157 ; Cass. 1e civ. 5-11-1991 n° 90-16.258 : Bull. civ. I n° 302).

Ces solutions restent valables en dépit des évolutions du changement de régime matrimonial depuis la loi du 23 juin 2006 et de la réforme du droit des contrats de 2016 (action paulienne : C. civ. art. 1341-2 qui a remplacé l’ancien art. 1167). Le présent arrêt est donc l’occasion de rappeler que le notaire, pressé par des clients trop impatients, pourra attirer leur attention sur la fragilisation du partage qui pourrait en résulter. De même que la constitution de lots de nature différente comme en l’espèce. Rien ne l’interdit dès lors que l’égalité en valeur est respectée. Mais elle peut être source de contestation si elle masque une fraude (pour un exemple, Cass. 1e civ. 11-7-2019 n° 18-20.235 F-D : SNH 26/19 inf. 1).

S’agissant du contrôle de la mutabilité du régime matrimonial, celui-ci a connu de nombreuses évolutions vers une plus grande libéralisation notamment, avec :

- la suppression de l’homologation judiciaire automatique réservée aux cas d’opposition des créanciers ou des enfants majeurs ou en présence d’enfants mineurs, dans un premier temps (Loi 2006-728 du 23-6-2006), suivi de la suppression de l’homologation judiciaire systématique en présence d’enfants mineurs désormais réservée aux cas d’opposition exercée par leurs représentants (Loi 2019-222 du 23-3-2019) ;

- à peine de nullité, la liquidation du régime matrimonial modifié dans l’acte de changement de régime matrimonial, si nécessaire (Loi 2006-728 du 23-6-2006 et ordonnance 2016-131 du 10-2-2016) ;

- la suppression du délai minimal de deux ans du régime matrimonial originaire avant de procéder à un changement de régime (Loi 2019-222 du 23-3-2019).

Dans ce nouveau cadre, qu’en est-il de la protection des créanciers des époux sur le fondement de l’action paulienne ? L’article 1397 dans sa version en vigueur dispose que cette action est ouverte aux « créanciers non opposants » lorsque le changement de régime matrimonial a été fait en fraude de leurs droits. L’action s’exerce dans les conditions de droit commun (C. civ. art 1341-2).

Faut-il en déduire que l’action paulienne contre la convention de changement de régime matrimonial est fermée aux créanciers opposants ? Faut-il aller plus loin et leur interdire l’exercice de cette action contre le partage consécutif au changement de régime matrimonial (sur ces interrogations, voir Rép. proc. civ. Dalloz, v. Régimes matrimoniaux Pr. Civ. : changement de régime matrimonial n° 260 par J.-J. Lemouland et D. Vigneau) ?

Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Droit de la familles 70250 et 70805

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne