Un homme déclare un enfant à l’état civil comme étant le sien et désigne son épouse comme étant la mère. La fille biologique du couple agit notamment en contestation de maternité de son supposé frère. Après son décès en cours d’instance, ses héritiers poursuivent l’action. La cour d’appel la déclare irrecevable : si tous les témoignages confirment qu’un seul enfant biologique est né de l’union du couple, ils font également état de ce que l’épouse a élevé l’enfant comme son fils. Ils permettent de constater que cet enfant a été éduqué et entretenu par le couple, qu’il a été reconnu par la famille, la société et l’autorité publique comme l’enfant du couple. Les juges du fond en déduisent que l’intéressé bénéficie d’une possession d’état paisible, continue, publique et non équivoque pendant les cinq ans qui ont suivi sa naissance, de sorte que l’action en contestation de maternité engagée plus de 30 ans après est prescrite.
Cassation de l’arrêt au visa de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause. Les différentes attestations produites indiquent que l’épouse du père déclaré n’avait eu qu’un seul enfant et qu’elle avait effectivement élevé plusieurs enfants de son mari ou de la famille de celui-ci, parmi lesquels se trouvait l’enfant dont la filiation était contestée. Mais ces attestations ne mentionnaient pas que l’épouse avait élevé ce dernier comme son fils, ni que la famille, la société ou l’autorité publique le considéraient comme tel. Dès lors, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces attestations.
A noter :
La possession d’état est constituée lorsqu’il y a une réunion suffisante des faits qui révèlent le lien de filiation. Trois éléments sont pris en compte (C. civ. art. 311-1) : le comportement des intéressés l’un envers l’autre (tractatus), la façon dont sont considérés les intéressés par les tiers et l’autorité publique (fama) et le nom des intéressés (nomen). Il n’est pas nécessaire que tous ces éléments soient réunis (pour des exemples, Cass. 1e civ. 5-3-2008 n° 06-21.031 et Cass. 1e civ. 20-1-2010 n° 09-10.632 : BPAT 2/10 inf. 88). De plus, la possession d’état doit être continue (C. civ. art. 311-2), paisible, publique et non équivoque (C. civ. art. 311-2), c’est-à-dire acquise sans fraude ni violence et au su de tous. Il appartient au juge, en considération des éléments de l’espèce, d’apprécier si les conditions de la possession d’état sont remplies. Il doit, sous peine de cassation, motiver sa décision et caractériser les qualités de la possession d’état. Dans l’affaire commentée, les juges ont fait dire aux attestations des choses qui n’y figuraient pas et qui ne pouvaient en être déduites : constater qu’une femme élève sous son toit un enfant déclaré comme étant le sien par son seul mari ne signifie pas qu’elle le considérait comme son fils. De plus, les attestations versées au débat émanaient des membres de la famille mais nullement de la société et encore moins de l’autorité publique. La cassation était inévitable.