En 2013, l’Autorité de la concurrence sanctionne plusieurs sociétés pour avoir mis en œuvre, dans le secteur de la distribution, en France, des commodités chimiques (matières premières de base issues principalement de la chimie minérale et de la pétrochimie) une entente anticoncurrentielle visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires (Aut. conc. 28-5-2013 n° 13-D-12). Dans sa décision, l’Autorité relève que l’Ile-de-France et le sud-ouest ont échappé à l’emprise de la concertation.
Un distributeur de commodités chimiques implanté dans la région sud-ouest engage à l’encontre de l’une des sociétés membres de l’entente une action en réparation des préjudices qu’il soutient avoir subis du fait de celle-ci, notamment en sa qualité de concurrent de ces sociétés. Le distributeur soutient qu’une entente anticoncurrentielle constitue un acte de concurrence déloyale qui cause nécessairement un préjudice aux entreprises concurrentes et que celui-ci peut être évalué, s’il est difficile à quantifier, en fonction de l'avantage indu procuré par les actes déloyaux.
La Cour de cassation rejette cet argument. Le droit des pratiques anticoncurrentielles a pour objet la protection du libre jeu de la concurrence sur le marché et, dès lors, la caractérisation d’une telle pratique n’induit pas nécessairement qu’un préjudice a été causé aux opérateurs actifs, directement ou indirectement, sur ce marché. La partie qui soutient qu’une pratique anticoncurrentielle lui a causé un préjudice doit donc en apporter la preuve, sauf à ce que cette pratique soit postérieure au 11 mars 2017, date d’entrée en vigueur de l’article L 481-7 du Code de commerce qui prévoit une présomption réfragable de préjudice en cas d’entente entre concurrents.
Au cas particulier, le distributeur n’avait pas prouvé que l’entente lui avait causé les préjudices qu’il invoquait. En effet, les marchés de la distribution de commodités chimiques sont régionaux en raison des coûts de transport et des délais de livraison, les ventes ne sont compétitives que dans un rayon de 200 km autour du dépôt et le distributeur n’avait pas explicité en quoi les pratiques mises en œuvre par les membres de l’entente pour des zones géographiques différentes de sa zone de chalandise avaient directement affecté son activité. Par ailleurs, un impact indirect sur son activité, tenant à ce que les participants à l’entente actifs dans le sud-ouest auraient disposé d’une meilleure rentabilité grâce à l’entente, leur permettant de se développer sur ce marché à son détriment, n’était pas davantage démontré au regard des documents produits.
A noter :
Par cette décision, la Cour de cassation se prononce sur le régime applicable aux actions en réparation d’une entente avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance 2017-303 du 9 mars 2017 ayant transposé la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014, dite « directive dommages » (C. com. art. 481-1 s.).
Au cas présent, le distributeur avait tenté de voir assimiler les pratiques anticoncurrentielles d’entente sur des pratiques tarifaires et des répartitions de clientèle à des actes de concurrence déloyale, pour les soumettre au même régime.
Il est admis que constitue un acte de concurrence déloyale le non-respect d'une réglementation dans l'exercice d'une activité commerciale, qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur (par exemple, Cass. com. 19-6-2001 n° 99-15.411 FS-P : RJDA 12/01 n° 1271). Le distributeur déduisait de cette jurisprudence que la pratique d’entente, dès lors qu’elle correspond à la violation d’une réglementation, même générale, constitue un acte de concurrence déloyale. Or on sait qu’en matière de concurrence déloyale la Cour de cassation retient l'existence d'une présomption de préjudice, considérée comme irréfragable (notamment, Cass. com. 14-6-2000 n° 98-10.689 FS-P : RJDA 12/00 n° 1184). Par ailleurs, elle considère qu’en présence d’actes de concurrence déloyale consistant à s'affranchir d'une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, induisant un avantage concurrentiel indu pour leur auteur, la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes (Cass. com. 12-2-2020 n° 17-31.614 FS-PBRI : RJDA 4/20 n° 249). La Cour de cassation ne s’est toutefois pas engagée dans la voie suggérée par le distributeur. Une pratique anticoncurrentielle ne peut donc pas être assimilée à un acte de concurrence déloyale.
Dans les affaires soumises au droit antérieur au régime issu de la directive « dommages » précitée, s’appliquent les règles de droit commun de la responsabilité civile : l’entreprise qui soutient qu'une pratique anticoncurrentielle lui a causé un préjudice doit le prouver. Il n’existe donc pas de présomption de préjudice causé par une entente aux concurrents non parties à l'entente. Cette solution est conforme à ce qu’avait déjà jugé la Cour (notamment, Cass. com. 15-6-2010 n° 09-15.816 F-D : RJDA 4/11 n° 349 ; Cass. com. 13-9-2017 n° 15-22.837 F-D : RJDA 2/18 n° 184).
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