Le Conseil d'Etat juge qu'un contribuable relevant uniquement d'un régime étranger de sécurité sociale ne saurait être soumis en France aux contributions sociales sur les revenus du patrimoine. C'est le double principe communautaire d'unicité d'affiliation à un régime de sécurité sociale et d'unicité de cotisation qui sous-tend cette décision et interdit d'assujettir à ces contributions les personnes affiliées à un régime de protection sociale étranger sur leurs revenus patrimoniaux, qu'elles soient résidentes ou non résidentes.
1. Dans sa décision du 27 juillet 2015 (n° 334551 et 342944 ; RJF 11/15 à paraître), le Conseil d'Etat vient de juger qu'un contribuable résident de France, affilié exclusivement à un régime de sécurité sociale étranger relevant du règlement européen sur la sécurité sociale, ne peut pas être soumis en France aux contributions sociales sur les revenus du patrimoine.
Le Conseil d'Etat se rallie ainsi à l'interprétation donnée récemment par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE 26-2-2015 aff. 623/13 : RJF 5/15 n° 453, concl. E. Sharpston) qu'il avait saisi d'une question préjudicielle tendant à déterminer si les prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine, tels que la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement, entrent dans le champ d'application du règlement 1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de l'Union européenne (CE 17-7-2013 n° 334551 et 342944 : RJF 11/13 n° 1095).
L'unicité de régime de protection sociale quelle que soit la nature du revenu soumis à contribution sociale
2. Le règlement 1408/71 du 14 juin 1971 puis, à compter du 1er mai 2010, le règlement 883/2004 du 29 avril 2004 posent en effet le principe qu'il convient « de soumettre les travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté au régime de la sécurité sociale d'un seul Etat membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités ». En conséquence, il est « approprié de déterminer comme législation applicable […] la législation de l'Etat membre sur le territoire duquel l'intéressé exerce son activité […] ». Un travailleur, au sens de ce texte, ne peut ainsi être affilié qu'à un seul régime de sécurité sociale et partant ne doit cotiser qu'une seule fois.C'est sur ce fondement que le défendeur dans la présente affaire, un ressortissant néerlandais résidant en France mais soumis au régime de sécurité sociale néerlandais au titre de son activité professionnelle, a contesté les prélèvements fiscaux payés en France sur ses revenus du patrimoine de source néerlandaise pour les années 1997 à 2004.
3. La Cour de justice avait déjà pris position à propos de la CSG et de la CRDS lorsqu'elles sont assises sur les revenus d'activité et de remplacement et avait estimé que ces prélèvements étaient soumis au règlement du 14 juin 1971 sur le fondement du critère déterminant de « l'affectation spécifique d'une contribution au financement du régime de sécurité sociale d'un Etat membre » qui a pour « objet spécifiquement et directement d'apurer les déficits du régime général de sécurité sociale français » (CJCE 15-2-2000 aff. 169/98, Plén., Commission c/ France et aff. 34/98, Commission c/ France : RJF 3/00 n° 436, concl. A. La Pergola).
4. Cependant, les prélèvements en cause dans la présente affaire ne concernaient pas les revenus d'activité et de remplacement mais les revenus du patrimoine, indépendamment donc de l'exercice par le défendeur d'une activité professionnelle.
La CJUE a pourtant réitéré sa position dans sa décision du 26 février 2015 après avoir relevé que ces prélèvements sur les revenus du patrimoine avaient bien comme affectation spécifique le financement des régimes de sécurité sociale français et en a déduit que lesdits prélèvements présentent « un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement 1408/71, indépendamment de l'absence de relation entre les revenus du patrimoine des personnes assujetties et l'exercice d'une activité professionnelle par ces dernières » (CJUE 26-2-2015 précité, points 28 et 29).
5. Le Conseil d'Etat s'est donc rallié sans surprise dans son arrêt du 27 juillet 2015 à la solution de la CJUE, et ce d'autant plus qu'il venait de faire application des principes dégagés par la CJUE dans sa décision du 26 février 2015 à des suppléments d'impôts réclamés au titre de la CSG et de la CRDS sur des revenus de placement, et plus précisément sur des plus-values immobilières réalisées sur un bien situé en France par une personne de nationalité française résidant à Cayenne et affiliée auprès d'une compagnie britannique pour les risques couverts par l'assurance maladie française (CE 17-4-2015 n° 365511 : RJF 7/15 n° 668, concl. E. Cortot-Boucher, censurant un arrêt CAA de Bordeaux 31-5-2012 n° 10BX02825).
Le rapporteur public E. Cortot-Boucher estimait ainsi dans ses conclusions sous l'arrêt précité du 17 avril 2015 que « les motifs retenus par la Cour de justice dans l'affaire jugée le 26 février 2015 sont en effet parfaitement transposables : le règlement du 14 juin 1971 ne fait pas de distinction à raison de la nature des revenus à raison desquels les cotisations sont versées, et des cotisations assises sur les revenus de placement font tout autant obstacle à la circulation des travailleurs que celles qui sont perçues sur les revenus d'activité ou de remplacement ou encore sur des revenus du patrimoine ».
6. Le Conseil d'Etat reprend à son compte dans son arrêt du 17 avril 2015 les principes de droit qui résultent des arrêts de la CJUE et écarte les objections qui ont pu être formulées dans les différentes affaires précitées dans un considérant éclairant qui juge que « le règlement (CEE) 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 pose notamment, pour les personnes qui en relèvent, un double principe d'unicité d'affiliation à un régime de sécurité sociale et d'unicité de cotisation ; que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, notamment dans les arrêts C-169/98 et C-34/98 du 15 février 2000 et dans l'arrêt C-623/13 du 26 février 2015, qu'un prélèvement participant au financement de régimes obligatoires de sécurité sociale relève du champ d'application du règlement 1408/71 s'il existe un lien direct et suffisamment pertinent entre ce prélèvement et certaines des branches de la sécurité sociale énumérées à l'article 4 de ce règlement, alors même qu'il serait assis sur des revenus de la personne assujettie indépendamment de l'exercice de toute activité professionnelle ; que l'existence ou l'absence de contrepartie en termes de prestations est dépourvue de pertinence pour l'application de ce règlement ; que la circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt par une législation nationale n'exclut pas que ce même prélèvement puisse être regardé comme relevant du champ d'application du règlement 1408/71 ; que ne peuvent être assujetties à des contributions relevant du champ d'application du règlement 1408/71 les personnes qui résident en France mais qui ne relèvent pas du régime français de sécurité sociale ».
7. Dans la présente affaire, le défendeur, salarié d'une société néerlandaise dont le siège est aux Pays-Bas et soumis au régime de sécurité sociale dans ce pays, ne pouvait donc, bien que résidant en France, être soumis à la législation sociale française qui le soumettait aux prélèvements fiscaux sur ses revenus du patrimoine et doit en conséquence en être déchargé.
Enfin, soulignons que ces mêmes principes ont également été appliqués récemment par les juges de la CAA de Bordeaux dans un arrêt concernant également des contribuables néerlandais résidant en France et affiliés au régime de sécurité sociale néerlandais qui ont contesté avec succès les prélèvements sociauxpayés en France, en l'espèce sur leurs revenus de capitaux mobiliers (CAA Bordeaux 25-6-2015 n° 13BX00115 : RJF 11/15 à paraître).
Les actions à présenter auprès des services fiscaux
8. Les contribuables ayant acquitté à tort les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine (notamment les revenus fonciers, les rentes viagères constituées à titre onéreux et les plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux) ou sur les revenus de placement (notamment les plus-values immobilières et nombre de revenus de capitaux mobiliers) peuvent, en conséquence, en demander le dégrèvement en présentant une réclamation auprès des services des finances publiques.
Outre les ressortissants de l'Union européenne, les ressortissants de l'Espace économique européen (Islande, Norvège et Liechtenstein) ainsi que ceux de laSuisse devraient pouvoir également introduire une réclamation.
Concernant les ressortissants de Suisse, si le règlement 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale abroge et remplace le règlement 1408/71, il prévoit expressément dans son article 90 que le règlement 1408/71 reste en vigueur aux fins de l'accord sur l'Espace économique européen et de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, et ce aussi longtemps que les accords précités ne sont pas modifiés.
9. En pratique, compte tenu des délais de réclamation particulièrement courts :
- - concernant les revenus du patrimoine, les prélèvements sociaux étant payés après émission d'un avis d'imposition, la réclamation doit être déposée au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant leur mise en recouvrement (LPF art. R*196-1 al. 2, b). Ainsi, en 2015, la réclamation peut porter sur les prélèvements sociaux mis en recouvrement de 2013 à 2015 qui concernaient les revenus perçus entre 2012 et 2014.
- - pour les revenus de placement, les prélèvements sociaux sur les plus-values immobilières étant payés par voie de retenue à la source, la réclamation doit être déposée en principe au plus tard le 31 décembre de l'année qui suit celle au cours de laquelle les retenues à la source et prélèvements ont été opérés (LPF art. R 196-1, al. 7, b). Cependant, l'article L 190 du LPF permet de présenter une réclamation sur le fondement de la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieur, révélée par une décision juridictionnelle, comme c'est le cas en l'espèce.
Ainsi, les actions introduites sur le fondement de ce texte bénéficient des conditions de délais de droit commun de deux ans décomptés à partir du paiement de la taxe (BOI-CTX-PREA-10-40 n° 310 s.). En conséquence, suivant l'exemple donné par l'administration fiscale dans ses commentaires sur ce texte, la réclamation doit être déposée au plus tard le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle au cours de laquelle les retenues à la source et prélèvements ont été opérés.
10. Par ailleurs, le contribuable est en droit d'obtenir des intérêts moratoires pour chaque mois de retard à compter du jour où l'administration est débitrice envers lui.
Jean-Pierre LIEB, Avocat associé
Laurent BIBAUT, Avocat