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La preuve de la discrimination à l’épreuve du RGPD

Si la communication de bulletins de paie d’autres salariés pour établir une discrimination syndicale est conforme au RGPD, le juge doit néanmoins veiller à ce qu’elle respecte le principe de minimisation des données, en ordonnant l’occultation des mentions non indispensables et en en limitant l’utilisation à l’action en cause.


Par Violaine MAGNIER
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©Getty Images

Cass. 2e civ. 3-10-2024 n° 21-20.979 FS-BR, Caisse fédérale de Crédit mutuel de Maine-Anjou Basse-Normandie c/ R.

En matière de discrimination, la charge de la preuve est aménagée : le salarié soumet au juge les éléments de fait laissant supposer son existence, charge à l’employeur de prouver ensuite que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (C. trav. art. L 1134-1).

Pour apporter ces éléments de fait, le salarié peut être amené à demander au juge d’ordonner à l’employeur de produire des documents qu’il détient, notamment des contrats de travail ou des bulletins de paie d’autres salariés (Cass. soc. 12-6-2013 n° 11-14.458 FP-PB : RJS 8-9/13 n° 606). La communication d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés peut être ordonnée dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi (Cass. soc. 8-3-2023 n° 21-12.492 FS-PB : FRS 7/23 inf. 7 p. 14 ; Cass. soc. 1-6-2023 n° 22-13.238 F-B : FRS 13/23 inf. 11 p. 20).

A noter :

La comparaison avec la situation d’autres salariés n’est pas indispensable pour établir l’existence d’une discrimination (notamment : Cass. soc. 20-9-2023 n° 22-16.130 F-D : RJS 12/23 n° 615). Mais elle peut être incontournable, notamment dans les contentieux relatifs à l’évolution de carrière ou la rémunération, la disparité de traitement avec des salariés dans une situation équivalente, hors le motif discriminatoire, pouvant être un élément laissant supposer une discrimination.

Le traitement et la communication des données personnelles sont régis par le règlement européen 2016/79 du 27 avril 2016 (règlement général sur la protection des données – RGPD). Dans un arrêt du 3 octobre 2024, rendu sur avis de la chambre sociale (Cass. avis 24-4-2024 n° 21-20.979 FS-D), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation encadre l’office du juge afin de respecter l’articulation des exigences résultant du droit à la preuve et celles du RGPD, notamment le principe de minimisation des données.

A noter :

La Cour de cassation précise également dans cet arrêt que les salariés dont les données personnelles sont demandées sont des tiers au litige et n’ont pas donc pas à être appelés ou entendus en application de l’article 14 du Code de procédure civile.

La communication de bulletins de paie pour établir la discrimination est licite au regard du RGPD…

Un salarié, s’estimant victime de discrimination syndicale, saisit la juridiction prud’homale de demandes d’indemnisation et rappels de salaire. Par jugement avant dire droit, le conseil de prud’hommes ordonne à la société de produire les historiques de carrière de 9 salariés ainsi que leurs bulletins de salaire de décembre sur 10 années et de justifier de leur communication contradictoire au salarié. La décision est confirmée par la cour d’appel.

L’employeur, invoquant le RGPD, se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation constate, tout d’abord, que l’exigence de licéité du traitement des données posée par l’article 6 du RGPD s’applique à la production en tant qu’élément de preuve de documents contenant des données personnelles, tels que les bulletins de salaire de salariés tiers ainsi qu’un historique de la carrière de ceux-ci, ordonnée par une juridiction prud’homale dans le cadre d’une procédure juridictionnelle engagée par un salarié se plaignant d’une discrimination syndicale.

La deuxième chambre civile relève par ailleurs que la communication par l’employeur de bulletins de paie et leur mise à disposition d’un salarié invoquant une discrimination syndicale, ordonnée par une juridiction prud’homale, ressortent d’un traitement effectué dans une finalité différente de celle pour laquelle les données ont été collectées.

Constatant que ce traitement garantit la protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires et l’exécution des demandes de droit civil, conformément à l’article 23 du RGPD, la Haute Juridiction juge que la communication des bulletins de paie et leur communication au salarié répondent aux exigences de licéité de ce règlement.

A noter :

La Cour de cassation a déjà précisé, dans un contentieux également relatif à la communication de bulletins de salaire pour prouver une discrimination syndicale, qu'au regard du RGPD le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité (Cass. soc. 8-3-2023 n° 21-12.492 FS-PB : FRS 7/23 inf. 7 p. 14).

La Cour de cassation précise également que le juge saisi n’est pas tenu de se faire communiquer préalablement les documents dont le contenu est légalement ou réglementairement défini, tels que les bulletins de paie des salariés de l’entreprise.

A noter :

On peut se demander si la solution serait la même pour des documents dont le contenu n’est pas fixé par les textes, tels des comptes rendus d’entretien d’évaluation.

… à condition de respecter le principe de minimisation des données

La deuxième chambre civile s’est ensuite penchée, dans un moyen relevé d’office, sur l’office du juge dans le traitement de ces données personnelles, notamment au regard du principe de minimisation des données. Selon ce dernier, les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (RGPD art. 5 § 1). Il en découle que, lorsque seule une partie des données apparaît nécessaire à des fins probatoires, la juridiction nationale doit envisager la prise de mesures supplémentaires en matière de protection des données, telles que la pseudonymisation ou toute autre mesure destinée à minimiser l’entrave au droit à la protection des données, comme une injonction adressée aux parties auxquelles ces documents ont été communiqués de ne pas les utiliser à une autre fin que celle de l’administration de la preuve lors de la procédure en cause (CJUE 2-3-2023 aff. C-268/21 § 56).

La Haute Juridiction livre un mode d’emploi pour le juge saisi d’une demande de communication de données personnelles dans le cadre d’un contentieux en discrimination. Elle rappelle d’abord, conformément à sa jurisprudence, qu’il appartient au juge de rechercher si la communication des données est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. En outre, le juge doit cantonner, au besoin d’office, le périmètre de production de pièces sollicitées au regard notamment des faits invoqués au soutien de la demande en cause et de la nature des pièces sollicitées.

A noter :

La chambre sociale avait déjà considéré que le juge peut limiter le périmètre de la communication de pièces si la demande est trop générale (Cass. soc. 16-2-2020 n° 19-17.637 FS-PB : RJS 3/21 n° 135). La deuxième chambre civile précise ici que ce cantonnement peut être effectué d’office et qu’il doit l’être au regard des faits invoqués et de la nature des pièces sollicitées.

La Haute Juridiction ajoute ensuite que le juge doit veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d’office, l’occultation sur les documents à communiquer par l’employeur au salarié de toutes les données à caractère personnel des salariés de comparaison non indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi. Pour ce faire, il lui incombe de s’assurer que les mentions, qu’il spécifiera comme devant être laissées apparentes sont adéquates, pertinentes et strictement limitées à ce qui est indispensable à la comparaison entre salariés en tenant compte du ou des motifs allégués de discrimination.

A noter :

 Dans un colloque organisé par la Cour de cassation, celle-ci s’est posé la question de la nature du contrôle qu’elle devra réaliser en matière d’occultation des mentions (Colloque Cour de cassation du 4-10-2024 « Questions sensibles de droit du travail »).

Enfin, le juge doit faire injonction aux parties de n’utiliser ces données, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action en discrimination.

A noter :

1. Il résulte de la rédaction de l’arrêt, rendu par le juge de la procédure civile qu’est la deuxième chambre civile, que sa portée est générale et ne concerne pas que le contentieux de la discrimination, mais l’ensemble de la matière civile, en référé ou au fond. À notre sens, en matière prud’homale, cette décision aura des effets principalement dans le contentieux de la discrimination et de l’égalité de traitement.

2. Les conditions du contrôle de proportionnalité sont cumulatives, la minimisation des données ne dispensant pas le juge d’effectuer le reste. La Cour de cassation a récemment censuré une cour d’appel qui avait ordonné l’occultation des données personnelles des bulletins de paie (hormis les nom, prénom, classification, rémunération détaillée et rémunération brute), mais n’avait pas cantonné le périmètre de production, alors que le salarié demandait les bulletins de nombreux salariés de l’entreprise sur une période de 30 années (Cass. soc. 25-9-2024 n° 23-25.557 F-D).

En l’espèce, la cour d’appel n’avait pas veillé au principe de minimisation des données ni enjoint aux parties de n’utiliser celles-ci que dans le cadre de l’action en discrimination. L’arrêt est donc cassé.

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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