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Primes exagérées rapportables à la succession : tenir compte du patrimoine global du souscripteur

L’absence de revenus du souscripteur lors du versement de primes sur son assurance-vie ne suffit pas à établir le caractère manifestement exagéré de celles-ci. C’est en effet sa situation patrimoniale globale, intégrant l’épargne et l’immobilier, qui doit être analysée.

Cass. 1e civ. 2-5-2024 n° 22-14.829 F-D


Par Rémy FOSSET
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©Getty Images

Un frère et une sœur s’affrontent dans le cadre du règlement des successions de leurs parents. Le premier demande le rapport du capital de 86 700 € versé à la seconde au titre du contrat d’assurance-vie souscrit par leur mère et alimenté à trois reprises.

La cour d’appel fait droit à la demande après avoir retenu le caractère manifestement exagéré des primes versées. Elle relève, notamment, que :

  • le versement initial de 34 800 € est intervenu alors que la souscriptrice n’avait pas de revenus propres et que les époux n’étaient pas assujettis à l’impôt sur le revenu, de sorte que l’utilité du contrat n’était pas démontrée ;

  • le deuxième versement de 22 800 € a été effectué alors que la souscriptrice venait d’être placée sous une mesure de curatelle, exercée par sa fille, sans contrôle du juge ni désignation d’un curateur ad hoc malgré la situation de conflit d’intérêt frappant cette dernière ;

  • le dernier versement de 6 400 € a été effectué le lendemain même du décès de l’époux.

Censure de la Cour de cassation. Elle rappelle que les primes versées par le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard à ses facultés, lequel s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci. 

Elle reproche aux juges du fond :

  • à propos de la première prime, de ne pas avoir tenu compte de la situation patrimoniale globale de la souscriptrice, en s’abstenant de rechercher si elle ne disposait pas, à la date du versement, d’un patrimoine immobilier et d’une épargne sur divers comptes ;

  • à propos des deux autres primes, de s’être prononcés au regard d’éléments autres que l’âge, la situation patrimoniale et familiale de la souscriptrice et l’utilité du contrat pour elle.

A noter :

Lorsqu’elles ont été manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, les primes versées sur un contrat d’assurance-vie (et non, comme l’a jugé la cour d’appel dans cette affaire, les capitaux versés au bénéficiaire) sont soumises aux règles du rapport et de la réduction (C. ass. art. L 132-13). La Cour de cassation rappelle ici les critères d’appréciation de l’exagération, définis par ses soins et confirmés de façon constante depuis, à savoir l’âge du souscripteur, ses situations patrimoniale et familiale et l’utilité du contrat pour lui (Cass. 2e civ. 4-12-2008 n° 07-20.544 F-D ; Cass. 2e civ. 16-6-2022 no 20-20.544 F-D : BPAT 5/22 inf. 247). 

Les juges du fond apprécient souverainement l’existence de l’exagération, à la date de chaque versement, en associant ces critères selon la méthode du faisceau d’indices. Cette faculté de recourir à plusieurs indices ne les autorise pas pour autant à s’écarter des critères énoncés, en se référant au montant de la quotité disponible (Cass. 2e civ. 4-7-2007 no 06-11.659 FS-D), à l’intention du souscripteur d’échapper aux règles du droit successoral (Cass. 2e civ. 23-10-2008 no 07-19.550 F-D) ou, comme en l’espèce, au conflit d’intérêt visant la fille en sa double qualité de bénéficiaire et curatrice. 

Cet arrêt a pour principal intérêt de rappeler que les situations patrimoniale et familiale du souscripteur doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble (en ce sens : Cass. 1e civ. 29-5-2013 no 12-11.785 F-D, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir tenu compte dans le patrimoine de la souscriptrice des bons au porteur qu’elle détenait ; Cass. 1e civ. 6-11-2019 no 18-16.153 F-D, les approuvant d’avoir pris en compte le fait que le souscripteur partageait les charges de la vie courante avec sa compagne).

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