Une femme de nationalité italienne décède le 28 février 2015, laissant pour lui succéder quatre enfants ainsi que son petit-fils venant par représentation de sa mère. Elle avait établi un testament, en français, en 2002, devant un notaire français, en présence de deux témoins et avec le concours d'une interprète de langue italienne, instituant ses trois filles légataires de la quotité disponible. Le petit-fils assigne ses tantes en nullité du testament. Une première cassation est prononcée d’un arrêt d’appel ayant validé le testament (Cass. 1e civ. 2-3-2022 n° 20-21.068 FS-B : BPAT 3/22 inf. 136). La cour d’appel de renvoi résiste et réaffirme la validité du testament (CA Lyon 21-3-2023 n° 22/02394 : BPAT 4/23 inf. 176). Un pourvoi est formé. Il reprend le motif de cassation du premier arrêt de cassation rendu dans cette affaire : si un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l'expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l'être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l'aide d'un interprète.
Cassation. La Cour rappelle que selon la loi uniforme sur la forme d'un testament international annexée à la convention de Washington du 26 octobre 1973, le testament international peut être écrit en une langue quelconque, à la main ou par un autre procédé. Le testateur doit déclarer en présence de deux témoins et d'une personne habilitée à instrumenter à cet effet que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu. Enfin, la Convention elle-même prévoit que les conditions requises pour être témoin d'un testament international sont régies par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée. Il en est de même à l'égard des interprètes éventuellement appelés à intervenir.
La Cour reconnaît que ces textes sont susceptibles de deux interprétations différentes quant à la possibilité de pallier la méconnaissance par le testateur de la langue qu'il a choisie pour tester en recourant à un interprète.
Une première interprétation tient compte de ce que la loi uniforme, que les États parties ont seule l'obligation d'intégrer à leur droit interne, ne prévoit pas le recours à un interprète. C’est celle retenue par la Cour dans son premier arrêt, s’inscrivant dans un courant jurisprudentiel (de droit interne) qui subordonne la validité du testament à la faculté pour le testateur d'en vérifier personnellement le contenu.
Une seconde interprétation tire de l'article V.1 de la Convention la possibilité d'avoir recours à un interprète dans les conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée. La Cour retient désormais cette seconde interprétation. Néanmoins, elle relève qu’aucune disposition de la Convention ni de la loi uniforme ne fait obligation aux États parties d'introduire dans leur législation des dispositions relatives aux conditions d'intervention d'un interprète. Or, la loi 94-337 du 29 avril 1994, qui désigne comme personne habilitée à instrumenter en matière de testament international sur le territoire français les notaires, ne contient pas de telles dispositions. Le silence de cette loi doit s'interpréter comme ne permettant pas en lui-même le recours à un interprète. La Haute Juridiction établit ici un parallèle avec le testament authentique, que le notaire est également habilité à recevoir, et pour lequel, avant la loi 2015-177 du 16 février 2015 modifiant l'article 972, alinéa 4 du Code civil, le recours à un interprète était interdit. Or, le testament litigieux a été établi en 2002 alors que, à cette date, aucune disposition légale ne permettait, tant en matière de testament international qu'en matière de testament authentique, de recourir à un interprète pour assister un testateur ne comprenant pas la langue du testament.
A noter :
Épilogue d’une bataille judiciaire ayant suscité l’intérêt de la doctrine, la solution donnée par le présent arrêt reste insatisfaisante selon David Lambert, coauteur du Mémento Successions Libéralités et du Mémento Droit de la famille. Certes, la Cour renverse sa position initiale et admet qu’il est possible de recourir à un interprète en matière de testament international. Ce qui correspond, comme nous l’indiquions (BPAT 3/22 inf. 136), à l’intention des rédacteurs de la Convention ainsi que cela ressort clairement du rapport explicatif de la Convention (J.-P. Plantard : Rapport explicatif sur la Convention portant loi uniforme sur la forme d’un testament international, p. 13-14). Néanmoins, la Cour estime qu’en l’absence de disposition spécifique de la loi française sur l’interprète en matière de testaments internationaux, ceux-ci doivent être assimilés à un testament authentique, pour lequel le recours à un interprète était interdit avant 2015. Cela signifie que les testaments internationaux reçus par le notaire français lorsque le testateur ne peut s'exprimer en langue française, après que la dictée et la lecture du testament ont été accomplies par un interprète, seront valables :
s’ils ont été rédigés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi 2015-177 du 16 février 2015, soit le 18 février 2015 ;
et s'ils respectent les conditions posées par l’article 972, alinéa 4 du Code civil pour le testament authentique, à savoir que l’interprète soit choisi par le testateur sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d'appel.
Cette interprétation est très discutable. Selon une doctrine autorisée, à l’avis de laquelle nous nous rangeons entièrement, « une telle analyse tend à donner à la loi française un champ d’application bien plus large que ce que prescrit la lettre du texte [la convention de Washington]. Ce dernier ne renvoie pas à la loi française pour savoir s’il est possible d’établir un testament en présence d’un interprète mais simplement pour déterminer à quelles conditions une personne peut exercer la fonction d’interprète. Il suffit pour s’en convaincre de constater que l’interprète est soumis au même régime que le témoin. Or, la loi française n’est pas tant consultée pour indiquer s’il est possible de recourir à des témoins pour établir un testament que pour définir les conditions que doit satisfaire une personne si elle veut être témoin. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle s’applique à cette question l’article 980 du Code civil qui ne vise aucune forme testamentaire particulière, de même que l’article 3, alinéa 2 du décret 71-941 du 26 novembre 1971 » (S. Godechot-Patris, État des lieux sur le testament international et ses applications jurisprudentielles : SNH 10/23 inf. 9 § 17). Dès lors, on ne peut que regretter la cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, dont la solution était parfaitement justifiée.
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