Un couple de nationalité lybienne s’est marié le 22 septembre 2000 en Lybie. En 2017, l’épouse a déposé une requête en divorce devant les juridictions françaises. La cour d’appel a déclaré cette requête irrecevable au motif que le mariage dont il était demandé la dissolution était le second mariage de l’époux, de sorte qu’il n’aurait pas d’existence légale et ne pourrait être dissous par une juridiction française. La Cour cassation censure.
Suivez les dernières actualités en matière patrimoniale et assurez la relance d’activité pour vos clients ou votre entreprise avec Navis Patrimoine et famille :
Pas encore abonné ? Nous vous offrons un accès au fonds documentaire Navis Patrimoine pendant 10 jours.
A noter :
Comme le relève Pierre Callé, professeur à l’Université Paris-Saclay, il est certain que la bigamie est prohibée en France : « on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier » (C. civ. art. 147). Tout mariage célébré en violation de l’article 147 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, par un des époux, toute personne qui y a intérêt ou le ministère public (C. civ. art. 184). Mais l’interdiction absolue de célébrer en France un mariage bigame ne signifie pas que l’ordre juridique français ne reconnaît pas la validité de certains mariages bigames célébrés à l’étranger, notamment ceux célébrés en conformité avec la loi nationale de chacun des époux applicable pour fixer les conditions de fond du mariage (C. civ. art. 202-1). La cour d’appel était donc allée un peu vite dans son raisonnement. Puisque les deux époux étaient lybiens, il convenait d’interroger la loi lybienne pour vérifier si elle autorisait ou non la bigamie.
Mais, admettre la validité d’une union bigame célébrée à l’étranger en conformité avec la loi personnelle de chacun des époux ne signifie pas que le mariage produira tous ses effets en France. La validité de l’union n’implique pas une reconnaissance pleine et entière de ses effets.
Ainsi, la loi 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République limite désormais, hors l’hypothèse d’un divorce, le bénéfice d’une pension de réversion due au titre d’un régime obligatoire à un seul conjoint survivant : « sous réserve des engagements internationaux de la France, une pension de réversion au titre de tout régime de retraite de base et complémentaire, légal ou rendu légalement obligatoire, ne peut être versée qu'à un seul conjoint survivant. En cas de pluralité de conjoints survivants, la pension de réversion est versée au conjoint survivant de l'assuré décédé dont le mariage a été contracté, dans le respect des dispositions de l'article 147 du Code civil, à la date la plus ancienne » (CSS art. L 161-23-1 A). Le législateur est ainsi revenu sur la jurisprudence française qui permettait, en l’absence d’annulation de mariage, aux différentes épouses de demander le bénéfice de la pension de réversion de l’article L 353-1 du Code de la sécurité sociale, qu’elles pouvaient se partager (Cass. 2e civ. 2-5-2007 n° 06-11.418 F-D ; Cass. 2e civ. 9-10-2014 n° 13-22.499 F-D et Cass. 2e civ. 12-2-2015 n° 13-19.751 F-D : Rev. crit. DIP 2015 p. 621 note E. Ralser ; Cass. 2e civ. 12-2-2015 précité et Cass. 2e civ. 5-11-2015 n° 14-25.565 F-D : D. 2016 p. 336 chron. Droit des étrangers et de la nationalité par O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot). Désormais, seule la première épouse pourra bénéficier de la pension de réversion. La jurisprudence remise en cause par la loi du 24 août 2021 étant fondée sur la qualité de conjoint survivant de chacune des épouses, on peut se demander si la loi n’emporte pas également condamnation implicite de la jurisprudence Bendeddouche. Sur le fondement de cette même qualité de conjoint survivant, en matière successorale, la Cour de cassation autorisait la seconde épouse à exercer les droits successoraux reconnus par la loi française au conjoint survivant concurremment avec la première épouse (Cass. 1e civ. 3-1-1980 n° 78-13.762, Bendeddouche : GAJFDIP, Dalloz 5e éd. 2006, n° 61). À bien y réfléchir, il n’est toutefois pas certain que la loi condamne cette dernière jurisprudence, car le nouvel article L 161-23-1-A du Code de la sécurité sociale, s’il limite le bénéfice de la pension de réversion à la première épouse, admet qu’il puisse y avoir une pluralité de conjoints survivants.
Indépendamment de cette limitation partielle des effets du mariage, en l’espèce, à supposer que la loi lybienne autorise la bigamie, ce mariage célébré à l’étranger devait être tenu pour valable en France. Il ne pouvait être tenu pour inexistant comme l’avait jugé à tort la cour d’appel. La requête en divorce de la seconde épouse était donc recevable.