Pourquoi et comment l'IA est-elle utile au monde de l’expertise comptable ? Comment va-t-elle le transformer ?
Frédéric Tillard : L’intelligence artificielle va contribuer à baisser les coûts de production des missions d’expertise comptable. On intègre de plus en plus cette technologie dans nos outils de travail au quotidien. Que ce soit pour les outils de production ou de documentation, elle permet aux collaborateurs de gagner du temps. Ce ne sont que les débuts mais à terme je pense que nous assisterons à une lente érosion de nos missions traditionnelles et des tarifs proposés par les cabinets. En prenant conscience de ces changements et surtout en prenant le virage à temps, les experts comptables vont pouvoir créer davantage de valeur.
Nos clients cherchent aujourd’hui une quasi totale digitalisation. Dans un premier temps nous devons répondre à cette demande en leur proposant des plateformes adaptées à leurs besoins. Ce sera également une façon pour nous de récupérer de la data que nous allons pouvoir faire travailler avec de l’intelligence artificielle. Mais attention, la relation de confiance doit être conservée. D’où l’importance d’être correctement formé et de connaître les rouages de ces nouvelles technologies pour pouvoir rester maître de ces données.
En parallèle nous allons pouvoir nous concentrer sur d’autres tâches et proposer de nouveaux services d’accompagnement à nos clients comme du conseil ou de la gestion de patrimoine. De plus, nous allons pouvoir embaucher des profils de collaborateurs plus diversifiés qui joueront alors un rôle de coaching et de conseil, avec une culture business plus forte que la simple culture comptable que nous privilégions jusqu’alors.
Comment intégrez-vous l’IA générative au sein de votre cabinet et comment accompagnez-vous vos collaborateurs sur ce sujet ?
F.T. : Nous avons fait appel à un consultant spécialisé en intelligence artificielle pour animer une journée entière au sein du cabinet. Il a appris aux équipes à comprendre et à utiliser des outils comme ChatGPT. Le but était d’apprendre à faire un prompt mais aussi de savoir analyser quand et comment un tel outil peut être utile pour les collaborateurs.
Avant cette formation, les collaborateurs se disaient plutôt inquiets. La crainte qui revenait le plus souvent est celle de se faire remplacer par ces machines aux pouvoirs immenses et aux savoirs quasiment illimités. D’autres évoquaient des peurs liées à la perte de données ou à la mauvaise utilisation de celles-ci. L’intervention d’un expert a permis de répondre à ces questions, de montrer que l’utilisation de l’IA peut être compatible avec la RGPD et d’apprendre à utiliser les outils pour ne pas y mettre des infos qu’il ne faudrait pas.
Après la formation, on a constaté un véritable changement dans les mentalités des collaborateurs qui étaient beaucoup plus sereins et même curieux à l’idée d’utiliser des outils IA. Nous avons le sentiment d’avoir cassé un certain nombre de freins collectifs. ChatGPT, bien utilisé, permet d’étoffer l’imagination et de trouver de l’inspiration.
La formation de nos collaborateurs a permis de les rassurer et de leur apprendre à utiliser correctement les outils de l’intelligence artificielle pour qu’ils soient utiles dans leur quotidien professionnel. Ainsi nous avons le sentiment d’avoir cassé un certain nombre de freins collectifs.
Dans quelques mois, nous avons prévu de rassembler l’ensemble des collaborateurs, toujours autour de la question de l’intelligence artificielle. Le but, cette fois-ci, étant de mélanger des experts-comptables de différents cabinets pour lever les derniers freins et développer de nouvelles synergies sur la base des expériences réussies dans l’utilisation de l’intelligence artificielle. On va créer un club référent IA avec un collaborateur nommé dans chaque cabinet, pour que ces pratiques collectives deviennent pérennes et soient utiles à tous.
Comment l’IA générative peut vous permettre d’optimiser au quotidien votre productivité ?
F.T. : Aujourd’hui l’intelligence artificielle ne nous sert pas que pour optimiser notre productivité. Elle sert principalement à trouver de nouvelles idées. Dans le cas de la gestion de projets, par exemple, l’IA peut nous aider à nous renseigner rapidement et facilement sur des sujets que l’on maîtrise un peu moins bien et qui sortent du cadre de notre travail direct. Elle nous permet d’en apprendre davantage sur le monde des entreprises qui nous entourent et de nous ouvrir à des choses qui pourraient être utiles dans notre activité professionnelle au quotidien.
Un cabinet d’expert-comptable n’a plus qu’une vocation comptable justement mais doit aussi faire du marketing, des ressources humaines, de la stratégie… l’IA nous accompagne dans ces nouveaux projets. Elle est donc très importante pour l’idéation.
L’IA générative permet également de faire des brainstormings plus facilement et souvent plus complets. On peut aussi s’en servir pour nos écrits et en améliorer la qualité rédactionnelle. De nos courriels ou nos publications sur les réseaux sociaux à nos articles de blog, cette technologie nous aide dans la recherche d’idées. Puis dans la rédaction de celles-ci. Pour vous donner un exemple concret, nous avons une émission vidéo qui parle de sujets d’actualité comptable. L’IA nous permet de trouver de nouvelles idées qui pourraient intéresser les chefs d’entreprises et que nous décidons alors de creuser dans ce média.
En ce qui concerne la partie rédactionnelle pure, notamment sur les réseaux sociaux, cela fait partie de notre quotidien. Nous publions régulièrement sur des plateformes comme LinkedIn. L’IA peut nous proposer des écrits correspondants à nos attentes. Nous pouvons ainsi les retravailler une fois que l’angle nous convient. Avec un prompt de qualité, nous pouvons avoir accès à du contenu adapté à nos idées. Donc on ne gagne pas forcément du temps mais nous gagnons en pertinence et en qualité. Dans le futur nous gagnerons certainement du temps également.
L’IA nous aide également dans la rédaction de contenu pour les réseaux sociaux. Avec un prompt de qualité, nous pouvons avoir accès à du contenu adapté à nos idées. On ne gagne pas encore du temps mais on gagne en pertinence et en qualité.
Comment va-t-elle changer votre posture et votre relation avec vos clients ?
F.T. : Je pense que les cabinets d’experts-comptables vont tendre de plus en plus vers une relation de conseil avec les entreprises. Le mot “comptable” nous assimile à un simple teneur de livre de comptes. La profession est bien plus complexe que cela. Si le nom ne change pas, la posture, elle, doit changer. Nous serons toujours les premiers interlocuteurs des dirigeants d’entreprise car nous avons une relation de confiance bien installée, mais il faut anticiper ces changements dès à présent.
Je vois de nombreux cabinets qui ont déjà pris cette mesure et qui sont en train de se transformer dans ce sens. Ceux qui ne le feront pas prennent beaucoup de risques selon moi. Dans cette optique de changement, ils recrutent, par exemple, des profils plus IT, différents de ceux que l’on recherche habituellement. Il faut sortir des sentiers battus et revoir les besoins de la profession en se basant davantage sur une posture conseil. C’est un véritable changement parce que l’on passe d’une logique de récurrence de missions à une logique d’investissement qui nécessite des changements intellectuels. Depuis quelques années, les entrepreneurs nous consultent dès qu’ils ont une question importante et que l’on peut les conseiller sur le sujet.
La posture de l’expert-comptable a donc déjà changé ; on vend de la compta, on facture de la compta mais on livre du conseil. Progressivement et avec la digitalisation il faudrait arriver à facturer du conseil et à offrir de la compta.