Un homme de nationalité française décède en Allemagne en 2021. Son épouse survivante introduit une demande de certificat successoral européen (CSE) devant une juridiction allemande afin d’être désignée comme unique héritière du défunt (l’Allemagne ayant désigné une juridiction comme autorité émettrice du CSE, à savoir les tribunaux cantonaux). Elle se fonde sur un testament conjonctif daté de 2020 écrit à la main par elle et son époux, par lequel ils se sont mutuellement désignés comme uniques héritiers. Il existe cependant un testament antérieur établi en 2001 où le défunt désignait comme héritiers ses deux petits-enfants. Son fils et ses petits-enfants contestent la validité du testament de 2020, soutenant que le défunt n’avait plus la capacité de disposer à cause de mort lors de l’établissement de ce testament et que la signature apposée sur celui-ci n’est pas la sienne. La juridiction allemande saisie de la demande de certificat constate que les allégations du fils et des petits‑enfants du défunt sont dénuées de fondement et elle estime que l’épouse survivante est l’unique héritière du défunt. Le règlement Successions prévoit que l’autorité émettrice ne peut délivrer de certificat, en particulier si les éléments à certifier sont contestés (Règl. 650/2012 du 4-7-2012 art. 67). La juridiction saisie de la demande de CSE interroge la Cour de justice sur le sens exact à apporter à cette disposition.
Une difficulté supplémentaire se pose sur la recevabilité même de la question préjudicielle. En effet, seule une juridiction au sens de l’article 267 TFUE peut interroger la Cour ; or, une juridiction au sens de ce texte est un organe qui exerce des « fonctions juridictionnelles » et non administratives (ce que recouvre approximativement la notion de juridiction gracieuse en droit français). Or, comme l’indique la Cour, les questions préjudicielles posées reviennent à se demander si le règlement confère, en tant que tel, à l’autorité saisie d’une demande de CSE la compétence pour trancher les litiges issus de contestations formulées au cours de la procédure de délivrance de ce certificat. La question se pose avec davantage d’acuité dans le cas de l’Allemagne où l’autorité désignée est un tribunal et qu’il a, pour délivrer des certificats d’hérédité de droit interne, le pouvoir de trancher les éventuelles contestations.
Pour trancher la question de la recevabilité, il faut donc déterminer si l’autorité émettrice du CSE a un pouvoir juridictionnel au sens du règlement Successions. La Cour interprète le texte du règlement en relevant d’abord que le texte vise indistinctement toute situation dans laquelle les éléments à certifier sont contestés, sans distinguer selon que la contestation soit soulevée dans le cadre de la procédure de délivrance ou dans une autre procédure. Elle note que le texte prévoit à la charge de l’autorité émettrice des obligations d’audition et d’information, ce qui rend possible l’émergence de contestations au cours de la procédure. Or, les objectifs poursuivis par le règlement, comme différents arguments de texte, démontrent que le certificat ne peut pas être délivré en présence de contestations émises au cours de la procédure de délivrance. En présence de telles contestations, l’autorité émettrice ne peut que refuser de délivrer un CSE ; elle n’a pas le pouvoir de les trancher. Cela ne signifie pas que cette autorité ne puisse constater que la contestation a déjà été tranchée par une décision juridictionnelle définitive revêtue de l’autorité de la chose jugée ; sinon, toute contestation ferait indéfiniment obstacle à la délivrance du CSE alors même qu’elle a été tranchée de façon définitive par une juridiction.
Dès lors, la Cour estime que, au sens du règlement, toute contestation, même paraissant non fondée ou non étayée, soulevée au cours de la procédure de délivrance d’un CSE, fait obstacle à la délivrance de ce certificat, à l’exception des contestations définitivement rejetées dans le cadre d’une autre procédure. L’autorité devra refuser de délivrer le certificat, ce refus pouvant lui-même faire l’objet d’un recours devant une autorité judiciaire conformément au règlement. La Cour en conclut que l’autorité émettrice n’ayant pas le pouvoir de trancher les contestations, elle n’est pas une juridiction au sens de l’article 267 TFUE et que la demande est donc irrecevable.
A noter :
Bien que la conclusion soit finalement de peu de portée (la demande de question préjudicielle est irrecevable), la motivation de l’arrêt est intéressante, selon David Lambert, avocat à Paris, et apporte quelques éléments utiles sur le CSE. Notamment, même si l’autorité émettrice du CSE a une compétence calquée sur celle prévue par le règlement pour les juridictions, et même si elle peut être effectivement une juridiction au sens du droit interne (ce qui n’est pas le cas en France, les notaires étant les autorités émettrices), elle n’est pas une juridiction au sens du droit européen. Il ne lui appartient pas de trancher d’éventuelles contestations entre des héritiers potentiels et elle doit donc refuser de délivrer un CSE en présence de contestations, sauf comme le rappelle la Cour, si elles ont été définitivement tranchées par une décision juridictionnelle définitive.