Le silence gardé par le salarié sur un fait relevant de sa vie personnelle, à savoir sa relation intime avec une autre salariée, peut-il être regardé comme un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail ? Dans un arrêt publié au bulletin de ses chambres civiles, la Cour de cassation répond par l’affirmative, en confirmant le licenciement pour faute grave d’un DRH n’ayant pas informé l’employeur de sa relation avec une représentante du personnel.
Un DRH cache à son employeur la relation intime qu’il entretient avec une représentante du personnel
En l’espèce, un salarié exerce des fonctions de direction. Il est chargé de la gestion des ressources humaines et reçoit une délégation de pouvoir effective et permanente du président du directoire en matière d’hygiène, de sécurité et d’organisation de travail et pour présider les institutions représentatives du personnel. Ce salarié entretient pendant plusieurs années une relation amoureuse avec une autre salariée de l’entreprise qui occupe quant à elle différents mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel. Il n’en informe pas son employeur qui finit par l’apprendre et le licencier pour faute grave. Le salarié demande en justice l’annulation de son licenciement en raison de son caractère attentatoire à sa vie privée et, à titre subsidiaire, que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. Ses demandes sont rejetées devant la cour d’appel et la Cour de cassation.
Cacher la relation qui affecte le bon exercice des fonctions professionnelles est jugé fautif
Une relation intime se rattachant à la vie professionnelle du salarié…
La Cour de cassation commence par rappeler qu’en principe, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Un principe bien connu et maintes fois rappelé par les juges (Cass. ass. plén. 22-12-2023 n° 21-11.330 BR ; Cass. soc. 6-3-2024 n° 22-11.016 FS-B ; Cass. soc. 20-3-2024 n° 22-19.170 F-D). Un licenciement disciplinaire peut aussi être justifié si un fait tiré de la vie personnelle peut se rattacher à la vie professionnelle (Cass. soc. 25-9-2019 n° 17-31.171 F-D).
Il ne fait aucun doute que l’existence d’une relation intime entre salariés relève de leur vie personnelle, même s’ils travaillent dans la même entreprise. Mais pour les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, cette relation intime :
se rattache à leur vie professionnelle, en raison de leurs fonctions respectives qui les amènent à participer à des réunions au cours desquelles sont discutés des sujets sensibles pour l’entreprise : les juges ont notamment relevé que la salariée avait participé à des mouvements de grève et à la négociation de plans de réduction des effectifs ;
et est de nature à affecter le bon exercice de leur activité professionnelle : les juges considèrent en effet que la relation intime entretenue par les salariés emporte nécessairement une influence sur l’exercice par le salarié de ses fonctions de DRH.
Ainsi, pour les juges, l’employeur pouvait se placer sur le terrain disciplinaire et prononcer un licenciement pour faute à l’encontre du salarié. Restait à savoir si le motif de rupture et la qualification de faute grave retenus par l’employeur devaient être approuvés.
…qui caractérise un manquement à son obligation de loyauté…
Pour les juges, en dissimulant cette relation amoureuse à l’employeur, le salarié a manqué à son obligation de loyauté. En l’occurrence, l’employeur précise dans la lettre de licenciement qu’il « n’est évidemment nullement dans notre intention de nous immiscer dans votre vie privée ». Le licenciement disciplinaire prononcé ici à l’encontre du salarié repose non pas sur la seule existence d’une relation intime entre deux salariés mais sur la dissimulation de celle-ci, qui est à l’origine d’un conflit d’intérêts et d’actes de déloyauté.
La Cour de cassation, s’appuyant sur le pouvoir souverain de la cour d’appel, considère qu’elle a pu déduire de ses constatations un manquement du salarié à son obligation de loyauté envers son employeur. Le licenciement pour faute grave est donc approuvé. Une sanction qui peut sembler très sévère, notamment dans la mesure où la salariée avait quitté les effectifs de l’entreprise au moment du licenciement.
A noter :
L’employeur mentionne dans la lettre de licenciement que si le salarié l’avait informé de cette union, il l’aurait préservé d’une telle situation de conflit d’intérêts « sans remise en cause de ses actions et attributions ». En pratique, si le salarié avait dévoilé sa relation, quelle aurait été la réaction de son employeur ? Il n’aurait pas pu le sanctionner, puisque le manquement à l’obligation de loyauté aurait disparu. Il aurait probablement pu lui retirer sa délégation de pouvoir pour éviter tout conflit d’intérêts, mais aurait-il choisi de maintenir à son poste un DRH dépourvu d’une telle délégation ?
…y compris en l’absence de préjudice pour l’employeur
Pour le salarié, il n’y a pas de manquement à l’obligation de loyauté dès lors que les juges n’ont pas constaté que les intérêts de l’employeur ou de l’entreprise ont été lésés par la dissimulation de la relation.
A noter :
La cour d’appel définit ici la déloyauté comme le fait pour le salarié de cacher à son entreprise des situations ou des évènements le touchant, en lien avec l’exercice de l’activité professionnelle exercée ou pouvant avoir des conséquences sur celle-ci.
Là aussi, la Cour de cassation s’appuyant sur les constats de la cour d’appel estime qu’il importe peu qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit établi ou non. Ainsi, le manquement du salarié à l’obligation de loyauté rend impossible son maintien dans l’entreprise. Son licenciement pour faute grave est donc justifié.
Le respect de la vie privée du salarié cède devant l’intérêt de l’entreprise
Deux principes étaient en jeu dans cette affaire : d’une part, l’obligation pour l’employeur de respecter la vie personnelle du salarié (C. trav. art. L 1121-1) et, d’autre part, l’obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi (C. trav. art. L 1222-1), qui s’impose à l’employeur comme au salarié.
La Cour de cassation a toujours veillé au respect de la vie privée du salarié (en ce sens : Cass. ass. plén. 19-5-1978 n° 76-41.211 P). Mais dans cette affaire, l'intérêt de l'entreprise prime sur cette liberté fondamentale du salarié. On relèvera d’ailleurs que, dans une situation semblable, une cour d’appel a estimé qu’un directeur des ressources humaines, amené à prendre part aux décisions relatives aux procédures et décisions disciplinaires et à l'évolution de la carrière des salariés, qui entretenait une relation intime avec une salariée de l'entreprise, avait manqué à l'obligation de neutralité et à l'obligation de loyauté à l'égard de son employeur dès lors qu'il ne l'avait pas informé de sa situation personnelle et des conséquences de celles-ci sur l'exercice de ses fonctions (CA Bordeaux 17-4-2024 n° 21/01972).
A noter :
La ligne fixée par la Cour de cassation en matière de licenciement pour un fait relevant de la vie privée du salarié n’est pas simple à appréhender. Rappelons qu’elle a récemment jugé que le droit au respect de l’intimité de la vie privée devait être garanti au salarié qui envoie, via la messagerie professionnelle, des messages privés au contenu raciste et xénophobe à des collègues de travail (Cass. soc. 6-3-2024 n° 22-11.016 FS-B) ou qui échange des insultes homophobes avec des collègues au moyen d’une messagerie installée sur l’ordinateur professionnel (Cass. ass. plén. 22-12-2023 n° 20-20.648 BR). Une protection qui n’est pas accordée, ici, au salarié DRH qui n’a pas divulgué sa relation amoureuse avec une collègue.
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