Loi du 5-3-2014 et QPC du Medef
L’article 29 de la loi 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale a défini les règles de la représentativité patronale dans les branches, au niveau national et interprofessionnel et au niveau national et multiprofessionnel. Ses dispositions ont été intégrées sous les articles L 2151-1 et suivants du Code du travail. Antérieurement, la question était réglée par les juges, à l’occasion de conflits relatifs à la représentativité des diverses organisations (par exemple CE 30 juin 2003 n° 248347 : RJS 10/03 n° 1197).
Une controverse s’est développée entre les organisations patronales, mettant aux prises, d’un côté, le Medef et certaines de ses fédérations, de l’autre, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l’Union professionnelle artisanale (UPA) notamment. Au centre de cette controverse, l’un des critères de la représentativité patronale retenus par la loi du 5 mars 2014 : l’audience mesurée en fonction du nombre d’entreprises adhérentes. Le Medef dénonçait ce critère car il ne tient compte ni du nombre des salariés employés par ces entreprises, ni de leur chiffre d’affaires (l’organisation patronale a aussi proposé comme critère la valeur ajoutée). Ses adversaires soutenaient, quant à eux, le principe « une entreprise, une voix ».
Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 10 juin 2015 précisant les modalités de mesure de l’audience des organisations patronales, le Medef et plusieurs fédérations adhérentes ont donc soulevé l’inconstitutionnalité des articles L 2151-1, 6o, L 2152-1, 3o et L 2152-4, 3o du Code du travail au motif qu'ils ne prévoyaient pas de pondération du critère du nombre des entreprises adhérentes aux organisations professionnelles d'employeurs pour mesurer l'audience de ces organisations. Le 9 novembre 2015, le Conseil d’Etat a transmis la question au Conseil constitutionnel.
L’argumentation du Medef a été rejetée par le Conseil constitutionnel et les articles critiqués déclarés conformes à la Constitution.
Outre ceux examinés ci-après, deux autres arguments (également rejetés)étaient soulevés dans le cadre de la question prioritaire de Constitutionnalité :
- l’atteinte au principe d’égalité devant la loi : le Conseil juge qu’en prévoyant que l’audience d’une organisation professionnelle se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes, le législateur a traité de la même manière l’ensemble des entreprises ;
- la méconnaissance par les articles du Code du travail en cause de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Le Conseil constitutionnel ne les juge pas inintelligibles.
Prise en compte du nombre d’entreprises adhérentes et liberté syndicale
Le Medef invoquait, en premier lieu, la méconnaissance par les dispositions en cause du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.
Après avoir relevé qu’il était loisible au législateur, pour fixer les conditions de mise en œuvre de la liberté syndicale, de définir des critères de représentativité des organisations professionnelles d’employeurs, le Conseil constitutionnel, pour écarter le grief soulevé par les organisations patronales, se fonde sur une double motivation.
En premier lieu, en prévoyant que l’audience des organisations patronales se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes, le législateur a entendu assurer un égal accès à la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs quel que soit le nombre des salariés employés par les entreprises adhérentes ou leur chiffre d’affaires.
A noter :
Les Sages rappellent, en outre, que, en application de l’article L 2261-19 du Code du travail, le nombre des salariés des entreprises est pris en compte en matière de négociation collective : en effet, aux termes de ce texte, l’extension des conventions de branche ou les accords professionnels ou interprofessionnels, leurs avenants ou annexes est subordonnée à la condition qu’ils n’aient pas fait l'objet de l'opposition d'une ou plusieurs organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau considéré dont les entreprises adhérentes emploient plus de 50 % de l'ensemble des salariés des entreprises adhérant aux organisations professionnelles d'employeurs représentatives à ce niveau.
En second lieu, la liberté d’adhérer au syndicat de son choix n’impose pas que toutes les organisations professionnelles d’employeurs soient reconnues représentatives indépendamment de leur audience. En fixant à 8 % le seuil minimum d’audience permettant l’accès à la représentativité, le législateur a entendu éviter la dispersion de la représentativité patronale et n’a pas fait obstacle au pluralisme.
Le principe constitutionnel de participation bénéficie aux salariés, pas aux employeurs
Deuxième argument du Medef, les articles L 2151-1, 6o, L 2152-1, 3o et L 2152-4, 3o du Code du travail contreviennent au principe selon lequel tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, lequel figure au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
Ce grief est également écarté par le Conseil constitutionnel : pour lui, en effet, ce texte, qui consacre un droit des travailleurs, par l’intermédiaire de leurs délégués, à la participation et à la détermination collectives de leurs conditions de travail ne confère aucun droit équivalent au bénéfice des employeurs, lesquels, comme le précise son communiqué, déterminent ces conditions de travail.