Une femme laissant à sa succession deux enfants, une fille et un fils, avait réalisé un legs de la quotité disponible et de parts sociales à son petit-fils par testament daté du 27 août 2009. Elle avait par ailleurs consenti une donation à son fils, par préciput et hors part, avec dispense de rapport, d’une somme de 350 000 francs le 24 mai 1982. Celui-ci avait employé ces deniers dans l’acquisition, par acte du même jour, de la nue-propriété d’un bien immobilier dont l’usufruit était acquis par la donatrice.
Après le décès de la mère, la sœur assigne son frère et son neveu en réduction des libéralités excessives. Les héritiers réservataires s’opposent notamment sur le montant à réunir fictivement correspondant à la donation de 1982.
La cour d’appel rejette la réincorporation de la valeur de l’immeuble en estimant notamment que le frère n’avait pas acquis un bien mais un droit réel sur un bien dont sa mère était usufruitière et qu’il ne résulte pas des actes concernés que la donation avait pour objet effectif de permettre la donation déguisée d’un bien immobilier à son profit.
La Cour de cassation censure le raisonnement. En effet, le donataire a employé la somme d’argent donnée par sa mère à l’acquisition de la nue-propriété d’un bien immobilier, ce dont il résultait que c’est la valeur de ce bien au jour de l’ouverture de la succession, d’après son état à l’époque de son acquisition, qui devait être réunie fictivement à la masse de calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible, en vue de déterminer une éventuelle réduction.
À noter : Les biens dont le de cujus a disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à la masse des biens existants et s’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour du décès, d’après leur état à l’époque de l’acquisition (C. civ. art. 922). La règle est simple puisqu’elle repose sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler la technique de la dette de valeur. L’incertitude demeure cependant sur l’application de cette subrogation aux donations en numéraire employées à l’acquisition d’un bien.
Sauf à considérer qu’une somme d’argent constitue un bien, l’article 922 du Code civil garde le silence sur ce point alors qu’en matière de rapport, l’article 860-1 du même Code envisage expressément cette hypothèse. Malgré cette omission, aucune raison ne justifie de distinguer suivant que la donation faite a porté sur des deniers ou sur un bien en nature. Dans un cas comme dans l’autre, si les sommes données ou le prix de l’aliénation du bien donné ont servi à acquérir un nouveau bien, c’est par subrogation sur celui-ci que doivent être calculées les sommes à réintégrer dans la succession.
La Cour de cassation lève désormais tout doute sur cette solution en se fondant sur l’absence de distinction dans le texte. En effet, la subrogation prévue par l’article 922 inclut toutes les donations, y compris celles de sommes d’argent (en ce sens déjà Cass. 1e civ. 4-6-2007 n° 06-14.473 F-D). Par conséquent, en présence d’une donation en numéraire, on réunira fictivement à la masse de calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible le nominal donné si les sommes n’ont pas été utilisées ou si elles ont été dépensées sans emploi dans un bien. Dans le cas contraire, on tiendra compte du bien acquis en contrepartie (sauf pour l’acquisition d’un bien de consommation).
Dans le cas d’espèce, le donataire avait employé l’argent donné par sa mère à l’acquisition de la nue-propriété d’un bien immobilier. Malgré la singularité de l’opération, la subrogation s’applique. Simplement, il est de jurisprudence constante que lorsque le de cujus a donné un bien en s’en réservant l’usufruit, la reconstitution du patrimoine successoral suppose que soit réintégrée dans la masse la pleine propriété du bien donné. Certes, cette solution peut paraître inéquitable de prime abord car la réunion fictive sera du même montant que celui applicable au cas du cohéritier gratifié d’un bien similaire en pleine propriété. Mais elle se justifie pleinement puisque le décès du donateur entraîne l’extinction de l’usufruit de sorte que la propriété s’est reconstituée sur la tête du donataire (en ce sens Cass. 1e civ. 14-10-1981 n° 79-15.946 : Bull. civ. I n° 296 ; Cass. 1e civ. 28-9-2011 n° 10-20.354 F-D, rendu à propos du rapport). C’est pourquoi la première chambre civile précise qu’il faudra tenir compte de la valeur du bien au jour de l’ouverture de la succession, d’après son état à l’époque de l’acquisition.
La preuve de l’emploi de la somme donnéeà l’acquisition d’un bien se pose inévitablement. Dans notre affaire, il y avait concomitance entre l’acte de donation et l’acquisition de la nue-propriété du bien intervenue le même jour. À l’inverse, la preuve pourra être difficile, voire impossible, à apporter dès lors que la somme d’argent aura été confondue avec d’autres deniers portés en compte. Si l’opération est réalisée longtemps après la donation et faute de preuve de l’emploi, les réservataires risquent alors de ne pouvoir prétendre qu’à la réunion fictive du montant donné.
Gulsen YILDIRIM, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit et des sciences économiques de Limoges
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Successions et libéralités n° 32790