Une société civile immobilière est déclarée adjudicataire de biens immobiliers dépendant de l’indivision existant entre un conjoint survivant, ayant recueilli un quart en pleine propriété et la totalité en usufruit de la succession de son époux prédécédé, et le fils du défunt, nu-propriétaire des trois quarts de la succession. Le conjoint survivant est condamné à payer une indemnité d’occupation à la société. Cette dernière fait pratiquer une saisie-attribution sur la portion du prix correspondant à la valeur de l’usufruit, à concurrence du montant de sa créance, entre les mains du bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Paris, séquestre du prix d’adjudication. La cour d’appel ordonne la mainlevée de la saisie-attribution car il est interdit aux créanciers personnels d’un indivisaire de saisir la part de celui-ci dans les biens indivis, meubles ou immeubles (C. civ. art. 815-17). Le conjoint survivant est en indivision avec son beau-fils, de sorte que la SCI, créancière personnelle du conjoint, ne peut pas saisir les fonds dépendant de l’indivision.
La Cour de cassation censure les juges du fond au motif que par suite de la vente de l’immeuble, le conjoint survivant a, sur le prix total, un droit propre à la portion correspondant à la valeur de son usufruit, sur laquelle la saisie peut être valablement pratiquée.
À noter : Depuis des décennies, la Cour de cassation ne cesse de marteler qu’il n’existe aucune indivision entre nu-propriétaire et usufruitier, dont les droits sont de nature différente (Cass. 2e civ. 18-10-1989 n° 88-13.878 : Bull. civ. II n° 192 ; Cass. 1e civ. 29-6-2011 n° 10-13.807 F-PBI : BPAT 5/11 inf. 294). L’usufruit et la nue-propriété sont des droits complémentaires et par suite indépendants. Or, pour qu’il y ait indivision, il est nécessaire que plusieurs personnes soient titulaires d’un droit identique sur un même bien. Dans le présent arrêt, la Cour de cassation ne revient pas sur cette question mais sa solution est dans le droit fil de cette analyse.
Le conjoint survivant arguait de l’existence d’une indivision sur la nue-propriété du bien vendu, entre elle et son beau-fils, pour soutenir que sa créancière ne pouvait pas saisir le prix de vente lui-même indivis. Une telle indivision est ici indifférente. La société créancière était en droit de saisir la partie du prix de vente correspondant à l’usufruit détenu par la seule débitrice.
La question des modalités d’exercice des droits de l’usufruitier et du nu-propriétaire sur le prix de vente d’un bien grevé d’usufruit a elle aussi été longtemps débattue. Entre le report des droits de l’usufruitier sur le prix de vente, instituant un quasi-usufruit, et la ventilation du prix entre l’usufruit et la nue-propriété, la Cour de cassation s’est ralliée au système de la ventilation du prix de vente entre d’une part le (ou les) nu-propriétaire et d’autre part l’usufruitier, chacun recevant la fraction du prix correspondant à la valeur de son droit (Cass. 1e civ. 20-10-1987 n° 86-13.197 : Bull. civ. I n° 276). Cette solution a été consacrée par la loi : sauf convention contraire entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, le prix de vente se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété (C. civ. art. 621). L’usufruitier et le nu-propriétaire se retrouvant chacun plein propriétaire d’une fraction de ce prix, un créancier personnel de l’usufruitier peut saisir la portion du prix revenant à son débiteur (Cass. 2e civ. 18-10-1989 n° 88-13.878, préc.). Dans le cas où aucune répartition du prix n’a été prévue, il suffit de convertir l’usufruit en propriété et d’imputer sur le prix la valeur résultant de cette conversion.
Cette solution, aujourd’hui acquise lorsque la vente du bien démembré est amiable, voire judiciairement ordonnée avec l’accord de l’usufruitier, doit-elle être étendue à l’hypothèse de la vente forcée ? La Cour de cassation l’admet dans l’arrêt sous analyse. Quoi qu’il en soit de l’interprétation à retenir, que la saisie-attribution porte sur la fraction du prix correspondant à la valeur de l’usufruit (solution adoptée) ou sur le quasi-usufruit, sa validité ne fait aucun doute.
Nicole PRÉTONI-MAUDIÈRE, maître de conférences à la Faculté de droit de Limoges, membre du Creop et coauteur du Mémento Successions Libéralités
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Successions Libéralités n° 54660