Un salarié itinérant, rémunéré selon un horaire fixe de 42 heures hebdomadaires, auquel s’ajoutait un forfait de 16 heures hebdomadaires au titre des déplacements professionnels, demandait à ce que les temps de trajet entre son domicile et les sites des premier et dernier clients soient considérés comme du temps de travail effectif en application de l’article 2 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Dans son arrêt Tyco du 10 septembre 2015, la CJUE a précisé en effet que l’article 2, point 1 de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens que « dans des circonstances […] dans lesquelles les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du « temps de travail », au sens de cette disposition, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites des premier et dernier clients désignés par leur employeur » (CJUE 10-7-2015 aff. 266/14, Tyco).
Le mode de rémunération des salariés itinérants relève du droit national
Le salarié réclamait en conséquence un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires correspondant à ses déplacements.
La cour d’appel l’a débouté de sa demande.
Pour la Cour de cassation, il résulte de la jurisprudence de la CJUE que, exception faite de l’hypothèse particulière visée à l’article 7 § 1 de la directive 2003/88 en matière de congé annuel payé, celle-ci se borne à réglementer certains aspects de l’aménagement du temps de travail, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs (CJUE 10-7-2015 aff. 266/14 précité, points 48 et 49 ; voir également CJCE 1-12-2005 aff. 14/04, Dellas ; CJCE 11-1-2007 aff. 437/05, Vorel, point 32 ; CJUE 4-3-2011 aff. 258/10, Grigore, points 81 et 83).
Partant, le mode de rémunération des travailleurs qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel et qui effectuent des déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites des premier et dernier clients désignés par leur employeur, relève, non pas de la directive en question, mais des dispositions pertinentes du droit national.
Or, en application de l’article L 3121-4 du Code du travail, le temps de déplacement qui dépasse le temps normal de trajet doit faire l’objet d’une contrepartie, soit sous forme de repos, soit sous forme financière.
La Cour de cassation approuve donc les juges du fond d’avoir retenu que le salarié, qui avait bénéficié d’un forfait au titre de ses déplacements professionnels, avait été indemnisé des temps correspondants.
Le temps de déplacement non pris en compte pour le calcul des durées maximales de travail
Le salarié réclamait également des dommages-intérêts au titre du non-respect des repos compensateurs et de la durée maximale hebdomadaire de travail.
Il est à nouveau débouté de sa demande par la cour d’appel.
La Cour de cassation rappelle qu’aux termes de l’article L 3121-4 du Code du travail « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif ».
Elle approuve donc les juges du fond d’avoir retenu que le temps de déplacement ne pouvait pas être additionné au forfait horaire hebdomadaire du salarié et, par voie de conséquence, pris en compte pour le calcul des durées quotidiennes et hebdomadaires maximales.
A noter : la Cour de cassation confirme sa jurisprudence relative au temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail. Ce temps ne constitue pas du temps de travail effectif et ne peut donner lieu qu’à contrepartie (Cass. soc. 14-11-2012 n° 11-18.571 FS-PB ; Cass. soc. 24-9-2014 n° 12-29.209 FS-D).
Notons que si la Cour de cassation fait expressément référence à la jurisprudence européenne, notamment à l’arrêt Tyco du 10 septembre 2015, pour justifier l’application du droit national en matière de rémunération du temps de trajet domicile-client du salarié itinérant, elle s’en écarte en ce qui concerne la qualification de ce temps. Consciente du risque de non-conformité du droit national sur ce point, la Cour de cassation avait d’ailleurs proposé, dans son rapport annuel de 2015, de modifier l’article L 3121-4, al. 1 du Code du travail pour se mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne (Rapp. C. Cass. 2015 p. 70 s.). On peut se demander pourquoi la Cour de cassation n’a pas préféré écarter l’article L 3121-4 du Code du travail pour respecter le droit européen, comme elle y est habilitée. Une des pistes envisagées par la doctrine serait d’appliquer l’article L 3121-1 du Code du travail relatif à la définition du travail effectif pour les salariés itinérants (Chronique M. Morand : RJS 1/16 p. 13).
Pour en savoir plus sur la qualification des temps de déplacement des salariés : Voir Mémento Social n°s 29620 s.