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Sauver l’outil de travail du donataire prime l’intérêt qui justifiait l’inaliénabilité du bien donné

La clause d’inaliénabilité en faveur des donateurs leur vie durant pour assurer l’efficacité du droit de retour conventionnel est valable, mais lorsque la vente du bien grevé est nécessaire à la pérennité de l’exploitation agricole du donataire, sa mainlevée est autorisée.

CA Lyon 5-3-2024 n° 21/08470


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©Getty Images

Aux termes d’une donation-partage, des époux gratifient un de leurs enfants d’une propriété immobilière qu’ils prennent la précaution de grever d’une interdiction d’aliéner. Vingt-deux ans plus tard, le donataire copartageant en demande l’annulation en justice ou, à tout le moins, sa mainlevée, en vue de la vente du bien donné.

La cour d’appel lui donne satisfaction puisque si elle valide d’abord la clause d’inaliénabilité, elle en concède ensuite sa mainlevée.

Premièrement, elle rappelle que la validité de la clause est doublement conditionnée (C. civ. art. 900-1, al. 1) : l’inaliénabilité doit être temporaire et justifiée par un intérêt légitime et sérieux. Or, en l’espèce, les conditions sont satisfaites : la clause a été stipulée pour la vie durant des donateurs (caractère temporaire) et se justifie par le souci d’assurer l’efficacité du droit de retour conventionnel à leur profit (intérêt légitime et sérieux).

Deuxièmement, la cour d’appel relève que l’intérêt du droit de retour conventionnel, lequel a justifié l’inaliénabilité, est moindre par rapport à l’époque à laquelle la donation a été consentie : le donataire est 25 ans plus jeune que ses parents et a lui-même trois enfants, de sorte qu’il est peu probable que lui et ses descendants décèdent avant ses parents. Plus encore, elle est sensible à la situation économique et professionnelle actuelle du donataire. Ses conditions de travail sont rendues particulièrement difficiles à défaut pour lui de pouvoir financer des travaux d’aménagement du bâtiment agricole. Seule la vente du bien donné, pour laquelle il a reçu une offre d’achat de 400 000 €, lui permettrait de réhabiliter et développer son exploitation agricole, la banque refusant de lui faire crédit. La pérennité de son activité agricole, qui constitue son outil de travail, représente un intérêt plus important que le maintien de ladite clause d’inaliénabilité, ce qui justifie sa mainlevée (C. civ. art. 900-1, al. 1).

A noter :

Cet arrêt nous offre l’occasion de nombreux rappels. D’abord, à quelles conditions la clause d’inaliénabilité est-elle valable ? À la double condition que l’inaliénabilité soit temporaire et qu’elle soit justifiée par un intérêt sérieux et légitime (C. civ. art. 900-1, al. 1). À propos de son caractère temporaire, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger que l’inaliénabilité stipulée pour la durée de vie du donateur est valide (Cass. 1e civ. 8-1-1975 n° n° 73-11.648 : Bull. civ. I n° 8). La présente affaire n’en est qu’une nouvelle illustration. S’agissant de l’intérêt légitime et sérieux qui la justifie, il peut s’agir de celui du disposant (lorsqu’il souhaite assurer la conservation du bien dans la famille ou encore en cas de réserve d’usufruit à son profit ou, comme en l’espèce, d’un droit de retour conventionnel), de celui du gratifié (pour le protéger de sa prodigalité, par exemple), ou de celui d’un tiers (bénéficiaire d’une réversion d’usufruit notamment). Autre précision, il ne peut pas reposer a posteriori sur l’inexpérience professionnelle du donataire, comme invoquée par les donateurs dans cette affaire.

Ensuite, quelles sont les conditions de sa révision ?  « […] Le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l'intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus important l'exige » (C. civ. art. 900-1, al. 1). En l’espèce, la pérennité de l’exploitation agricole qui constitue l’outil de travail du donataire présente un intérêt supérieur, selon les juges du fond. Ces derniers ont également relevé, sans aller jusqu’à constater sa disparition, un « amoindrissement » de l’intérêt du droit de retour conventionnel qui justifiait celui de la clause d’inaliénabilité, du fait du nombre de descendants du donataire et de l’âge des donateurs. La cour d’appel a ainsi apprécié dans quelle mesure la situation nouvelle survenue depuis l’acte de donation a créé pour le donataire un intérêt plus important que celui, toujours actuel, qui avait justifié l’insertion de la clause d’inaliénabilité dans ledit acte.

Enfin, rappelons qu’il est toujours possible de rechercher une « mainlevée amiable » de la clause d’inaliénabilité, par la renonciation expresse ou tacite des donateurs à l’interdiction d’aliéner.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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