La gestion d'un projet immobilier est confiée à une SARL (A). Son gérant, par ailleurs salarié de la société, est nommé gérant d'une autre SARL (B), créée pour réaliser ce projet. Quelques années plus tard, il est révoqué de son mandat social dans la société A, puis licencié pour faute grave par celle-ci. Considérant que cette révocation empêche la poursuite normale de leur relation, l'associé unique de la société B le révoque. L'intéressé agit alors contre les deux sociétés pour obtenir réparation de la révocation de ses deux mandats sociaux qu'il estime infondée.
La cour d'appel de Paris rejette sa demande. En premier lieu, le comportement brutal et méprisant du gérant, rapporté par plusieurs témoignages, était de nature à porter gravement atteinte au bon fonctionnement interne de la société A et contraire à l'intérêt social puisqu’il donnait une mauvaise image de l'entreprise à ses partenaires extérieurs. Le fait que cette circonstance ait déjà été retenue par un conseil de prud'hommes comme cause réelle et sérieuse de licenciement était sans incidence : l'argument de l'autonomie du mandat social et du contrat de travail était inopérant en raison de la nature des faits reprochés, qui irriguent de manière identique l'ensemble des fonctions de l'intéressé. En second lieu, la réalisation de l'objet social et le fonctionnement de la société B étaient intrinsèquement liés à l'intervention de la société A, de sorte que la désignation d'un gérant commun se justifiait pleinement et qu'il eût été difficilement envisageable que le gérant de la société B ne soit plus un dirigeant ou responsable de la société A.
A noter :
Certains dirigeants, parmi lesquels les gérants de SARL (C. com. art. L 223-25, al. 1), ont droit à des dommages-intérêts s'ils sont révoqués sans juste motif. La cour d'appel de Paris énonce ici que le juste motif peut résulter d'une faute du dirigeant, d'une attitude non fautive mais de nature à compromettre l'intérêt social ou le fonctionnement de la société (Cass. com. 4-5-1999 n° 96-19.503 P : RJDA 7/99 n° 792), d'un changement dans l'organisation interne - étant précisé que la suppression du poste du dirigeant n'équivaut pas à une révocation (Cass. com. 4-4-2024 n° 22-19.991 F-B : RJDA 6/24 n° 341) - ou encore de la perte des fonctions au sein d'une autre personne morale.
Le cas du salarié dirigeant a donné lieu à une jurisprudence abondante. Le cumul des fonctions de dirigeant avec un contrat de travail dans la même société est en effet possible si l'intéressé exerce des fonctions effectives et distinctes, perçoit une rémunération distincte, et est placé, dans l'exercice de ses fonctions techniques, dans un état de subordination à l'égard de la société. En raison de cette autonomie du mandat social et du contrat de travail, la rupture de l'un n'entraîne pas nécessairement la rupture de l'autre (Cass. com. 20-6-2006 n° 05-14.168 F-D : RJDA 12/06 n° 1237). Comme l'illustre la décision commentée, s'agissant de la révocation dans la société A , il est néanmoins fréquent que de mêmes faits, en raison de leur caractère transcendant, justifient à la fois la révocation et le licenciement de l'intéressé (par exemple, Cass. soc. 7-4-1993 n° 91-42.914 D : RJS 6/93 n° 673).
S'agissant de la révocation dans la société B, l'arrêt commenté s'inscrit à première vue à contre-courant de la jurisprudence traditionnelle. Il a ainsi été jugé que la révocation d'un gérant intervenue légitimement dans une société mère ne peut pas, à elle seule, constituer un juste motif de révocation du même gérant dans une filiale (CA Reims 10-11-1975 2e esp. : Rev. sociétés 1976 p. 314 note. J. G.) ou que le licenciement en tant que salarié de la société mère ne pouvait pas justifier la révocation de l'intéressé en sa qualité de gérant de la filiale (CA Versailles 25-1-2007 n° 06-440 : RJDA 5/07 n° 502 ; CA Paris 24-10-2013 n° 12/15029 : RJDA 3/14 n° 227 et, sur pourvoi, Cass. com. 3-3-2015 n° 14-12.036 F-D : RJDA 7/15 n° 494) et, inversement, que la révocation dans la filiale ne justifiait pas le licenciement de l'intéressé par la société mère (Cass. soc. 30-11-1999 n° 97-41.431 P : RJDA 3/00 n° 272). La Cour de cassation a néanmoins admis que la révocation du dirigeant d'une filiale pouvait être notamment justifiée par la résiliation de son contrat de travail avec la société mère, dès lors que le mandat social, pour lequel aucune rémunération n'était prévue, se situait dans la même logique de management que le contrat de travail (Cass. com. 12-6-2007 n° 06-13.900 F-D : RJDA 12/07 n° 1242). La décision commentée semble répondre à la même logique : bien qu'elles ne forment pas un groupe de sociétés, c'est en raison de la relation contractuelle inextricable de la société B à l'égard de la société A que la révocation dans la dernière a justifié la révocation dans la première.